Plouguenast. Village de "Le Cas Rouge". Lundi 8 mars 1943. Témoignage de Monsieur Morin Albert.

Je me souviens très bien de cette terrible journée. Elle avait pourtant bien commencé. Il faisait un temps magnifique. Le printemps commençait à apparaître un peu partout dans la campagne et dans les jardins. C’était les vacances des gras. Une partie de la matinée avec les copains nous avions joué au jeu du cheval. Ce jeu consistait à passer une longue ficelle sous un bras, puis en arrière du cou et redescendre sous l’autre bras. Le camarade derrière tenait les guides et ainsi nous courrions, faisant la course avec d’autres. A cette époque pas de jeux ni de jouets comme aujourd’hui. Ne l’oublions pas c’était la guerre. Régulièrement nous assistions aux passages des bombardiers alliés, en nombre important qui allaient sur Saint Nazaire ou Lorient. Souvent un vacarme dans le ciel attirait nos regards. Les combats aériens étaient tout aussi fréquents. C’était terrible et effrayant. Nous avions peur.

Vers midi et demi ce jour la, nous sommes rentrés à la maison pour le repas. Midi pour nous, c’était à l’heure solaire. L’occupant lui avait deux heures de plus que nous. Notre mère faisait des galettes. Je m’en rappelle très bien. A notre table, près de mon grand père était assis le facteur et quelques voisins qui avaient été priés pour boire un verre. Nos parents exploitaient une ferme au village de la "Ville Hellio" distante du "Le Cas Rouge" d’une trentaine de mètres. Un de mes souvenirs l’est aussi pour cette machine que l’on appelait la "Loco", locomotive à vapeur qui attendait les battages de l’été suivant, stationnée dans notre cour. Nous avons ensuite mangé et le repas à duré un peu plus longtemps qu’à l’habitude. Soudain, nous avons entendu le bourdonnement des moteurs d’avions qui passaient dans le ciel à haute altitude. Ils se dirigeaient vers le sud. Puis un bruit terrible nous est parvenu. Nous sommes sortis avec nos parents pour voir ce qui se passait. Nous avons aperçu au loin un bombardier qui laissait échapper des flammes en arrière d’un moteur, il était seul, détaché de sa formation et perdait de l'altitude. Puis de multiples points blancs brillants se détachèrent dans le ciel. On aurait dit des étoiles. Le soleil faisait briller la toile des parachutes. On voyait les aviateurs quitter leur avion les uns après les autres. Ce fût l’affolement parmi nous car le danger se faisait pressant, le bombardier venait dans notre direction dans un bruit effroyable. Alors que s’est t’il passé ensuite ?. Il semblerait qu’il ai fait un passage pour y larguer ses bombes dans le grand champ en face, de l’autre côté de la route. Ce grand champ est à forte déclivité. Très pentu il culmine à 195 mètres d’altitude dans sa partie haute. A l’époque il était divisé en petites parcelles bordées de talus boisés. Deux bombes explosèrent laissant des cratères d’une dizaine de mètres de diamètre, les autres n’ayant pas explosé. Nous n’avons vu cela que les jours suivants et encore sans trop approcher car les sentinelles allemandes rodaient dans le quartier. L’avion semble être parti vers l’ouest pour revenir ensuite sur nous en décrivant une courbe importante. Il s’écrasa à cinquante mètres de notre maison dans un bruit terrible. Un voisin qui avait fait la guerre de 14-18, voyant le danger arriver nous donna l’ordre de nous coucher à même le sol de notre maison. Nous avons attendu ainsi un quart d’heure avant de sortir. Nous marchions sur les cartouches tombées dans la cour. Il y en avait des milliers, des brouettes entières. La carcasse de l’avion brûlait. Les flammes hautes dégageaient une fumée noire intense. Soudain nous avons eus très peur, un chasseur Allemand est passé en rase motte au dessus de nous, nous ne l’avions pas vu arriver. Il venait se rendre compte de ce qu’il avait fait. Cet après midi là, nous n’avons vu qu’un seul avion ennemi. La surprise fût totale quand on s’aperçu que la queue du bombardier était tombée, posée sur le sol de notre verger, tout près de notre maison à une quinzaine de mètres. La roulette de queue était restée accrochée sur le tronc d‘un pommier. Après guerre, nous l’avons appelé le pommier américain. Il faut imaginer cette partie arrière du bombardier qui s’était détachée venir se poser sans problème dans ce petit verger distant de la carcasse de quatre vingt mètres environ sans toucher les chênes qui entouraient cette parcelle.

 

Jardinet où est tombée la queue du B-17 au loin le champ des bombes.

 

En cet endroit il n’y eu aucun dommage, pas plus que sur nos habitations. Nous avons risqué ce jour la de disparaître dans cette tragédie. Tout autour de chez nous, le sol était jonché de morceaux de tôles projetées lors du choc avec la terre. Une radio de cet avion avait été projetée et avait traversé le toit d’un poulailler. Trois des moteurs s’étaient détachés des ailes et avaient roulé dans le fond du champ en pente, arrêtés par un talus. Ils étaient en feu, l’incendie dura quelques heures. L’immense carcasse de cet avion avait brûlé toute l’après midi. Dans le champ où étaient tombées les bombes, un de nos voisins Monsieur Hervé avait travaillé toute la matinée à la confection de fagots. A l’heure de midi il avait tout laissé y compris ses outils. Il avait prévu de revenir après manger. Il ne retrouva rien. C’est un miracle qu’il ai pût échapper à une mort inéluctable. En fin d’après midi nous avions vu arriver une colonne allemande d’une vingtaine d’hommes. Cela ne nous rassurait pas. Ils réquisitionnèrent la ferme d’à côté, ne laissant qu’un espace restreint au fermier et sa famille. Ils venaient pour garder les restes de l’avion. Ils restèrent plus d’un mois au "Cas Rouge", relevés toutes les fins de semaine. Ils venaient du camp de "La Secouette" en La Motte. Nous n’avons pas que de bons souvenirs de ces Allemands. Certains se croyaient tout permis. Il fallait cacher notre pain. Il se servaient en œufs, légumes… Ils ne se gênaient vraiment pas. D’autres devenaient méchants après avoir bu. Nous n’étions guère rassurés. Ils aimaient beaucoup "La goutte" notre eau de vie de cidre. Le cidre, ils savaient bien trouver les barriques. Un voisin raconte. Les allemands nous avaient réquisitionné notre ferme en grande partie. Un soir des soldats qui avaient beaucoup bu et qui étaient couchés sous notre hangar se mirent à tirer avec leurs fusils à travers les tôles. Soixante huit après les impacts des balles sont toujours visibles. Au début d’avril 1943 tout une armada de camions arriva au village. Beaucoup de soldats participèrent au ramassage de tout ce qui restait du bombardier. Un camion grue déposait sur les plateaux des camions toutes ces pièces métalliques. Ils ne laissèrent rien. Une équipe de démineurs allemands était venue dans les jours qui suivirent la chute pour désamorcer les bombes non explosées. Ils passaient au village vers onze heures du matin nous priant d’ouvrir nos fenêtres et nous donnaient l’ordre de nous cacher à l’intérieur de nos habitations. Cela durait une heure. Ils restèrent trois jours environ. Tout se passa sans incident.

Je me rend compte aujourd'hui que cet événement dramatique aurait pût l’être encore plus si par malheur notre village avait été touché. Il s’en est fallut de peu. Nous avons eus vraiment beaucoup de chance.

 

GORetour biographie

 

Remerciement à M. Albert Morin pour son témoignage