Le 17 juin 1944

MISSION RUBARB N° 252

Samedi 17 juin 1944.

No. 41 Squadron (RAF). Aérodrome de la RAF Bolt Head, situé dans le Devon. Mission d'attaque de cibles à l'opportunité. Cette mission aura pour but de détruire toutes cibles ennemies sur la région de Lamballe, Plancoët, Dinan, Loudéac en Bretagne. Ces objectifs seront, tous les véhicules allemands préalablement reconnus, trains ou autres cibles sans marques distinctes et donc suspectes y compris camions et voitures personnelles. Certains automobilistes autorisés à circuler devront se prémunir de l'obligation de se signaler par la présence d'une croix rouge sur les ambulances ou d'un drapeau français positionné de manière bien visible sur les voitures individuelles, (médecins, infirmiers) ou camions, (pompiers, services...) de manière à éviter l'attaque des chasseurs alliés. La radio de Londres déconseille de s'aventurer sur les routes en cette période. De multiples raids aériens sont organisés sur tout le territoire occupé. Onze jours après le débarquement de Normandie, les alliés mettent tout en œuvre pour éviter que les Allemands ne remontent vers le front des combats. Sur l'aérodrome de Bolt Head en Cornouaille Britannique, (extrême pointe sud-ouest de l'Angleterre), les forces aériennes du 41 Squadron s'efforcent de mener à bien toutes ces missions. Ils ne sont pas les seuls. Ces incursions en territoire ennemi sont programmées par l'état-major allié. Aujourd'hui la météo est particulièrement favorable, elle autorisera plusieurs missions. Huit au total seront réalisées à partir de cette base. Le Flight Lieutenant Harding Ross Philip (23 ans) et le Flying Officer Collis Ronald Thomas Harry (24 ans) se voient désignés pour une mission ''Rhubarb''. (Voir explication en fin de récit) au-dessus du nord de la Bretagne. Se joignent à eux les Flying Officer Peter Cowell (21 ans ) et Charles John 'Jack' Malone (21 ans. Canadien). Ce groupe de 4 avions a reçu les ordres donnés par le leader, le Wing Commander Harold Arthur Cooper Bird-Wilson. Par groupe de deux, ils seront sur des territoires différents. Les Flying Officer Cowell et Malone s'orienteront vers Loudéac. Leurs avions seront des Spitfire Mk XII. (Le Spitfire du Flying Officer Cowell est immatriculé MB175, celui du Flying Officer Malone, le MB875), (du Flight Lieutenant Harding le MB145 et le dernier, celui du Flight Lieutenant Collis, le EN229).

 

Photo d'un Spitfire Mk XII MB878. Photo source Allan Hilman. Voir site internet The Pilots of 41 Squadron RAF, 1939-1945

 

Les deux officiers Collis et Harding décollent de Bolt Head à 12 heures 25 (heure Anglaise) suivis de près par leurs camarades. Après une traversée de la Manche n'ayant pas posé de problème, ils sont en approche de la bordure maritime nord au niveau du Val André qu'ils survolent à haute altitude pour ensuite plonger sur le carrefour ferroviaire de Lamballe où l'un des aviateurs remarque un train garé sur une voie secondaire. Ces wagons sont recouverts de camouflages mais pas suffisamment pour les dissimuler. Les deux Spitfire fondent sur le convoi en faisant usage de toutes leurs armes, mitraillant sans arrêt jusqu'au dernier wagon aussitôt après, c'est la remontée immédiate en altitude, puis le vol se dirige vers le nord toujours à la recherche d'une cible, tout en ne se perdant pas de vue et toujours en liaison radio. En arrivant près d'Hénanbihen une voiture personnelle est repérée. Elle ne porte aucun signe lui permettant d'éviter l'attaque. Les deux avions la survolent à basse altitude et l'un d'eux, après une large courbe au Sud-Est au-dessus de la campagne, surgit en rase motte la mitraillant par le côté. Les pilotes refont un passage et se rendent compte que cette voiture est en feu. Ils quittent la zone puis continuent leur mission vers Matignon. Surveillants les routes, ils arrivent aux abords de Plancoët, quand ils aperçoivent un convoi de camions ennemi. L'attaque est décidée, mais il faut faire attention qu'un poste d'artillerie mobile ne soit pas incorporé à ces véhicules. Le mitraillage, toujours à très basse altitude, se fait sur la route proche de la gare. Tous les véhicules sont touchés. Reprise d'altitude puis progression désormais vers le sud-est où, près de Pleudihen sur Rance un camion Allemand est mitraillé. Retour sur Dinan en décrivant une large courbe par le sud de cette ville. De nouveau deux camionnettes sont repérées. Elles ne portent pas de signes les mettant à l'abri de l'attaque. A nouveau en rase motte les deux chasseurs se ruent sur ces deux véhicules et les mitraillent. Un nouveau passage indique qu'ils sont immobilisés. La mission doit rentrer dans le Devon non sans avoir une nouvelle fois prospectée largement sur la route du retour avant de quitter la côte. Une dernière intervention aura lieu entre Plestan et Noyal où un véhicule équipé de canons antiaériens camouflé sera détruit. Les deux pilotes posent leurs appareils à 14 heures 10. La mission a duré 1 heure 45 minutes.

Les Alliés pendant la seconde guerre mondiale désignaient comme mission aérienne du nom de ''Rhubarb'' celles dont les cibles n'étaient pas désignées par avance mais dont les objectifs s'offraient aux pilotes lors de leur vol, à l'opportunité. D'autres missions portaient le nom de ''Ramrod'' désignant l'escorte et la protection des bombardiers. Le troisième type de mission se nommait ''Rodeo'' pour des attaques ciblées prévues à l'avance, comme pour un pont, un bâtiment, une centrale électrique etc... Le Flight Lieutenant Harding était né à Fareham dans le Hampshire le 22 janvier 1921. Il fut affecté au N° 41 Squadron du 5 juillet 1943 au 13 février 1945. Il est à noter qu'il fut abattu au-dessus de Werl en Allemagne le 13 février 1945. Il fut fait prisonnier.

Le Flight Lieutenant Ronald Thomas Harry Collis était né à Londres le 2 juillet 1920. Il arriva au N° 41 Squadron le 15 août 1943. Ce qui est curieux c'est qu'il quitta l'escadron dès le lendemain même de cette mission. Un complément de recherche nous apprend que le 16 juin 1944, il est affecté comme Flight Commander a l'escadron 126. Le 8 juillet 1944 il doit abandonner en mer son Spitfire Mk IX ML366 car ayant été touché par des obus Allemands au dessus de Carteret dans la Manche au cours d'une mission ''Rhubarb''. Ayant sauté en parachute et ayant amerri, il sera récupéré par une vedette de La Royal Navy le lendemain seulement. A son retour il revendiquera la destruction d'un Messerschmitt BF 109. Le 8 octobre 1944, il entre à la Fighter Leaader School. Il sera décoré de la DFC Distinguished Flying Cross dont l'annonce apparaîtra dans la gazette de Londres le 11 mai 1945. Après guerre il sera transféré dans la Royal Navy comme instructeur.

 

Témoignage de monsieur Jean Carfantan d'Hénansal, (86 ans), recueilli à Lamballe le 15 janvier 2012. J'avais 19 ans en 1944. C'était un week end aux environs du 18 juin. Nous venions d'apprendre les jours précédents le débarquement sur la Côte Normande. Cette nouvelle nous avait remplis de joie à l'idée de voir l'occupant chassé de notre pays. En cette fin de matinée, je me rendais à Ruca voir de la famille, j'étais seul. Il faisait un temps splendide. Le ciel était bien dégagé. Quand tout à coup je fus surpris. J'ai eu peur. Des chasseurs Anglais m'ont survolé à très basse altitude et à grande vitesse. Je ne les avais pas entendus arriver. Ils étaient deux. Si bas que j'ai pu voir la cocarde bleu blanc rouge sur les avions. Je me suis immédiatement caché dans le fossé proche, sans bouger, en attente. J'avais bien vu auparavant une voiture noire qui se dirigeait vers le bourg de Ruca mais je n'y avait guère porté attention. L'un des avions se mit à tournoyer au-dessus d'Henanbihen. Je ne voyais plus l'autre. Quand tout à coup, ce fut un vacarme d'enfer. Cet autre avion avait pris la voiture pour cible et la mitraillait par le côté. Ce fut terrible. J'eus très peur. Ils repassèrent sur les lieux et disparurent. Immédiatement et prudemment je me suis dirigé vers le lieu du drame. La vision était insupportable. La voiture avait pris feu. Un homme arrivé rapidement m'aida à sortir le conducteur qui était grièvement blessé. Nous ne pûmes rien faire pour la femme qui l'accompagnait car l'incendie prenait de l'ampleur sur l'avant de la voiture. C'était très dur à vivre. J'ai cette tragédie à jamais dans ma mémoire. Dans l'attaque le coffre s'était entrouvert laissant apparaître le drapeau français que l'on a supposé à l'époque aurait dû être positionné sur le véhicule pour qu'il soit signalé et reconnu. Hélas il ne l'était pas. Il y avait aussi un petit sac de farine. Il avait été dit les jours suivants que ces gens venaient de l'acheter à la minoterie d'Henanbihen peu avant. Dans les minutes qui suivirent plusieurs personnes arrivèrent de la Ville es Rieux, village proche. Je me rappelle entendre l'émotion provoquée par ce drame. On avait appris que cet homme était le médecin de Ruca, le Docteur Bedfert et son épouse. Les gens s'inquiétaient de sa disparition dans ces temps difficiles, la guerre n'étant pas terminée. D'autres évoquaient l'estime qu'ils lui portaient. Je me souviens avoir relevé 40 impacts d'obus sur l'épave de la voiture. Sur le sol gisaient des traces de poudre jaune, résidus des obus au phosphore. Une ligne téléphonique passait en bordure de la route. Les fils avaient étés hachés sur une centaine de mètres.

 

Stèle du docteur René Bedfert et de son épouse Louise Brion, Ville-es-Rieux en Ruca

 

Un monument fut élevé en leur mémoire dans les années après-guerre. Témoin direct de ce drame, j'ai beaucoup d'émotion à en parler aujourd'hui. Extrait du témoignage de Monsieur Georges Tillou résistant pendant la 2ème Guerre Mondiale à Dinan. Monsieur Tillou a consigné ses souvenirs sur cette époque dans un recueil auquel il a donné le titre ''Dans l'ombre du passé'' . Et l'on retrouve ces quelques lignes où il parle de son camarade résistant monsieur André Lemoine commerçant à Dinan. Le vendredi 16 juin 1944, à Languédias, mon camarade André Lemoine vint me rejoindre en voiture au chalet dans lequel nous nous retrouvions de temps en temps pendant cette guerre. Nous étions dans la Résistance. J'avais entendu au poste radio qu'il était imprudent de s'aventurer sur les routes. A mon conseil de ne pas voyager en voiture, il répondit : mourir d'une façon ou une autre, on mourra ensembles ! Hélas, le lendemain samedi 17 juin, alors qu'il se trouvait sur une petite route à Calorguen entre le village de la Roussais et la Ville Amice, il fut mitraillé par des avions Anglais. Je ne devais plus le revoir. Témoignage d'une dame dont la famille habitait à cette époque à la sortie de Noyal vers Plestan. Je me rappelle bien de ce terrible mitraillage par des avions alliés sur la route allant à Plestan. C'était en juin. Mon père dès qu'il entendit le bruit des avions qui tournoyaient au-dessus de nous, nous dirigeât immédiatement vers une cache dans le sol du jardin, un abri qu'il avait creusé lui-même pour nous protéger. Plusieurs personnes en avaient construit pour leur protection tout autour de chez nous. Nous étions sous une épaisse couche de terre, attendant la fin de l'attaque. Le lendemain nous avions été voir ce véhicule allemand détruit encombrant la route. Il y eut plusieurs blessés.

Jean Michel Martin ABSA 39-45. Février 2012.