Le 31e Régiment d'Aviation à Tours

(par un groupe d'Officiers du Régiment)

 

 

Le 31e Régiment d'observation est un régiment heureux. Heureux par l'héritage qu'il porte en lui de trois escadrilles de guerre, la 10, le 226 et la 227 ; heureux par la tâche féconde qu'il assume en temps de paix au profit des troupes de toutes armes qui travaillent dans l'ouest de la France, heureux par la contrée où il a fait son nid, la Touraine, le doux jardin de France, vallée de châteaux royaux et princiers où l'histoire de notre pays se dresse majestueusement.

On voudrait, quand on parle du 31e, parler d'abord de lui et ne parler que de lui. Mais comment, puisque aujourd'hui il vit sous l'égide de ce « génie national » qui s'appelle la Loire, ne pas commencer à la façon ancienne par une incantation au dieu protecteur.

« On oppose à la Loire le Rhône torrentueux, le Rhin légendaire ou la Seine si jolie, comme à Racine, sans cesse, on opposera Shakespeare. J'aime pour ma part Shakespeare, et la Seine, et le Rhône, et le Rhin ; mais je soutiens que si la France possède deux trésors de style qui n'appartiennent vraiment qu'à elle et où se retrouve le plus pur de sa grandeur simple, de sa claire intelligence, de son sens souverain de l'harmonie, de son tranquille dédain de l'ornement superflu, ces deux trésors sont Racine et la Loire (1). »

De loin, de haut, la Loire, indolente et infinie, coule au fond d'un vaste lit dessinant sur le sol son long ruban bleuâtre ; parfois, elle se montre inquiète, ou « délirante », coupée et déchirée d’îlots ; parfois, elle court entre des levées qui l'endiguent et lui interdisent tout écart » ; parfois, elle baigne le pied de ces grands châteaux que les rois semblent avoir placés là pour l'aimer et la surveiller : Blois, Chaumont, Amboise, Montsoreau, Saumur, sans parler de ceux qui, non loin de ses eaux limpides, ont trouvé sous son climat des sites enchanteurs : Chenonceaux, Chambord, Azay-le-Rideau, Luynes, Langeais, Chinon, Ussé et le noble Villandry, « Versailles de la Touraine ».

 

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C'est le 1er avril 1919 qu'une escadrille, la 277, venant de Metz, fut envoyée à Tours. Il s'agissait alors de faire des liaisons aériennes dans l'ouest de la France . La 10 et la 226 vinrent ensuite se joindre à elle et ainsi se trouva formé le premier noyau du 31e: deux escadrilles de Salmson, une escadrille de Breguet, toutes les trois escadrilles de Corps d'armée, toutes les trois frémissantes encore de leurs services de guerre.

Rôle magnifique que celui de l'aviation d'observation en temps de guerre, reconnaissances, réglages d'artillerie, liaisons d'infanterie, rôle fait de dévouement acharné à la cause commune, de désintéressement et de modestie. L'aviation d'observation vit et combat pour ceux qui livrent les batailles, jamais pour elle. Puisqu'elle voit ce qu'« ils » ne voient pas, elle doit le leur dire, le leur expliquer, le leur faire comprendre. Elle veille à leurs besoins et guide leurs pas ; elle les met en garde ou les secourt. Sentant ce qu'« ils » sentent, elle vole à leur aide et cherche toujours et en toute circonstance à les soulager dans leur œuvre ingrate et rude.

Le passé de la 10, de la 226 et de la 277 porte le reflet de ces qualités d'activité désintéressée, de courage tranquille et de dévouement.

 

L'escadrille 10

SAL 10

 

La 10, escadrille « vieille tige », que l'on avait vue déjà aux grandes manœuvres de 1913, eut le premier blessé de l'aviation française, le 7 août 1914 et effectua le premier mitraillage à...  coups de revolver ! Ces brillants débuts faisaient bien augurer de son avenir. En réalité, pendant quatre ans, elle figura sur tous les champs de bataille, Marne, Aisne, Champagne, Artois, Picardie. Sous le commandement du Capitaine Labouchère, puis du Capitaine Pène, qui malheureusement fut abattu en flammes après une carrière brillante, trois fois elle fut citée à l'ordre de l'armée, et mérita, après les journées des 9, 10 et 11 juin 1918, où elle avait exécuté de nombreuses liaisons d'infanterie, à basse altitude, malgré des circonstances atmosphériques détestables et une aviation de chasse adverse très supérieure, le titre d'« escadrille d'élite ». Ses pilotes ? Le Lieutenant Pène, « le plus bel exemple d'énergie, d'entrain, de mépris du danger, toujours prêt à remplir les missions périlleuses : le 27 juillet 1916, frappé dans les reins par un éclat d'obus au début d'un réglage, n'est rentré, dominant sa souffrance, qu'une fois sa mission terminée ». Le Lieutenant Goux, « blessé deux fois dans l'infanterie », pilote « d'une grande adresse », d'un courage simple et souriant ; le 25 janvier 1918, en mission photographique sur les lignes allemandes, attaqué par deux avions de chasse ennemis qui venaient d'obliger un des deux appareils de protection à atterrir, a abattu l'un d'eux, et, poursuivant sa mission avec un seul appareil de protection, a soutenu un deuxième combat très dur contre trois autres ennemis. Les a mis en fuite à leur tour, et, resté maître de l'air, a rempli sa mission jusqu'au bout, accompagné à distance respectueuse par une patrouille ennemie accourue sur le lieu du combat ». Le Lieutenant Gérard-Varet, réputé pour son endurance, son sang-froid, son mépris du danger. Le Maréchal des Logis Bertrand, remarquable d'habileté, d'énergie et de sang froid : « le 12 janvier 1918, au cours d'une mission de protection qu'il remplit complètement malgré la violence du tir de l'ennemi, un de ses réservoirs traversé par les éclats ayant pris feu à 2800 m de haut ramena son appareil et son passager dans nos lignes et atterrit normalement dans un terrain bouleversé ». Puis le 10 août 1918, « la mâchoire brisée et le bras gauche inutilisable, son appareil criblé de balles, réussit à ramener son observateur et à atterrir près des lignes ». Sergent Boutiqué, Sergent Mereau, pilotes d'élite ; Adjudant Gonnet, pilote d'une « rare énergie, serviteur dévoué, modeste et brave ».

Les observateurs de la 10 ? Le Lieutenant Magnus, « énergique et audacieux », le Lieutenant Desbieff, « photographe remarquable par son adresse, son calme et son mépris du danger » ; le Sous-Lieutenant  Luguet, « Officier d'élite qui, par son courage, son allant et sa conscience du devoir, provoquait l'admiration de ses camarades » ; le Sergent Gaumont qui, pendant que son pilote, le Lieutenant Goux, livrait les durs combats cités plus haut, continuait à rempli sa mission photographique.

 

La 226

BR 226

 

Formée en janvier 1917 sous le commandement du Capitaine des Isnards, la 226 avait été destinée tout d'abord aux réglages de l'artillerie lourde, mais bientôt elle devint escadrille de Corps d'armée et suivit pendant longtemps les destinées du 36e Corps qui opéra, en 1917 et au début de 1918, dans les Flandres. On la vit à l'offensive des Flandres, en août 1917, puis sur les champs de bataille de la 1re et de la Xe armée, en 1918 « animée du plus grand esprit d'offensive », fournissant sous les ordres du Lieutenant Ducos de la Haille un travail d'artillerie excellent... accomplissant en outre toutes les missions de reconnaissance qui lui étaient demandées, livrant quatorze combats en peu de temps et assurant plusieurs fois dans d'excellentes conditions le ravitaillement en vivres et munitions d'unités d'infanterie en 1re ligne ». Le 14 septembre 1918, le pilote Adjudant Fèvre, « attaqué au cours d'une mission par dix avions ennemis, leur tint vaillamment tête jusqu'au moment où son observateur eut été grièvement blessé. Au cours du combat, il contraignit un de ses adversaires à lâcher prise, puis il réussit à se dégager et à ramener jusqu'au terrain son appareil criblé de balles ». Ce modèle de conscience et de bravoure était suivi par ses compagnons d'escadrille : le Lieutenant Lheureux, « observateur d'une valeur professionnelle et morale hors de pair », les Lieutenants Augibault, Lavinne et Chrétien, l'Adjudant Vachot.

 

La 277

SAL 277

 

L'histoire de la 277 tient en moins de lignes, car cette escadrille ne fut formée qu'en février 1918. Affectée au 2e Corps d'armée Colonial et travaillant sur le front relativement tranquille de la Wœvre, elle employa l'hiver 1918 à s'acclimater, à acquérir de la cohésion et de l'expérience. Quand vinrent les attaques de Saint-Mihiel, les 12 et 13 septembre 1918, elle fut à même de montrer « sous le commandement du Lieutenant Lellouche une valeur exceptionnelle. Par le temps le plus dur qu'on puisse trouver, malgré le vent soufflant en tempête, malgré les orages qui ne cessèrent de se succéder au cours de la bataille, malgré le tir des mitrailleuses ennemies, les équipages, rivalisant d'ardeur, méprisant le danger, volant dans la pluie au ras du sol, renseignèrent le commandement minute par minute, facilitant ainsi beaucoup la tâche de la Division et contribuant largement au succès ».

« Facilitant la tâche de la Division et contribuant largement au succès » ! Est-il citation plus élogieuse, pour une aviation d'observation et plus digne d'être donnée en exemple aux nouvelles générations d'observateurs ?

En cette page d'histoire si brève et si éloquente, les Lieutenants Schlesser, Auphan, Pomeyrols et Roy, le Maréchal des Logis Lelâche avaient inscrit leurs noms, parmi les plus réputés, par leur allant, leur courage et leur modestie.

 

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Le dévouement à la cause commune, qui est en temps de guerre l'apanage de l'aviation d'observation, demeure le même en temps de paix, puisqu'il vise à l'éducation des troupes de toutes armes.

Or, cette tâche du temps de paix ne va pas sans de sérieuses difficultés d'ordre matériel et technique, car les unités d'aviation ne jouissent pas de tous les moyens ni de l'expérience du temps de guerre.

Seul régiment d'aviation d'observation à l'ouest du méridien de Paris, le 31e étend ses ailes de l'embouchure de la Rance à celle de la Gironde, couvrant ainsi la rude Bretagne si peu souriante à l'aviation, descendant par la Vendée et le Bocage jusqu'aux marais de Saintonge, touchant au Bordelais, s'enfonçant par le Poitou et l'Angoumois vers les contreforts de l'Auvergne, à travers les genêts du Limousin, « ce royaume du granit, massif de montagnes usées et découragées ». En somme, un cinquième de la France est le domaine du Régiment.

Son rôle ? Coopérer à l'instruction et à l'entraînement des troupes étalées sur ce territoire ; leur apprendre à se servir de l'aviation en leur donnant une connaissance exacte de ses possibilités et de ses procédés.

Ceci ne saurait être réalisé sans une solide installation des moyens de travail, nous voulons parler de l'infrastructure des terrains. Œuvre de longue haleine, ingrate et quelque peu décevante, mais sans laquelle nul autre travail ne peut être entrepris.

Avec le concours des villes et des aéro-clubs locaux, le 31e fit de la « colonisation aéronautique », en pleine lande, en pleine forêt, à Gaël, près de Coëtquidan ; sur un terrain marécageux, à Meucon, près de Vannes ; sur le rocher de la Courtine, à Féniers, ou près des grandes villes : Poitiers, Nantes, Angers, Angoulême, Niort. Véritable réseau de « secteur », d'un immense secteur dont Tours est le centre dans lequel il y a encore beaucoup à faire, notamment du côté de la Bretagne entre Rennes, Cherbourg et Brest, mais dont le rendement est déjà excellent.

Le 31e est actuellement composé de six escadrilles formant trois groupes : un groupe de reconnaissance et deux groupes d'observation.

Un principe préside à l'emploi de ces trois groupes : affecter chaque groupe d'observation à deux régions de Corps d'armée et le groupe de reconnaissance aux Écoles. De la sorte le G.O.3 travaille avec la 11e Division (régions de Tours et de Rennes), le G.O.4 travaille avec la 21e Division (régions de Nantes et de Limoges), le G.O.5 travaille avec les écoles de Poitiers, de Saumur, de Saint-Maixent.

Cette répartition permanente présente beaucoup d'avantages. Chacun connaît ses unités et son terrain, les liaisons en deviennent beaucoup plus faciles et, il faut bien le dire, la confiance réciproque est beaucoup plus grande lorsqu'on se connaît depuis longtemps. C'est surtout dans les camps, au cours des manœuvres d'ensemble, que se fait cette liaison. Pendant de longues périodes les escadrilles sont détachées à la Courtine, à Gaël, à Poitiers, à Angoulême, à Meucon, etc... et prennent ainsi contact avec les autres armes. Les troupes, comme à la guerre, reconnaissent les insignes de « leurs escadrilles ».

Comme à la guerre, celles-ci suivent les progressions d'infanterie, ou de chars d'assaut, photographient les positions adverses ou le mouvement d'unités en terrains découverts, règlent les tirs d'artillerie, etc.

C'est ainsi, qu'en 1928, du 1er juillet au 30 octobre, dans sept camps différents, il a été effectué 113 contrôles de tirs réels, 75 contrôles de tirs fictifs, 117 missions photos et 376 exercices de transmissions ou de liaisons avec les autres armes ; tout ceci avec six escadrilles seulement et indépendamment du travail effectué à Tours même et dans les grandes manœuvres aériennes de septembre.

En plus de ses manœuvres en liaison avec les autres armes, le 31e effectue très souvent des manœuvres aériennes combinées soit avec le 3e régiment de chasse de Châteauroux, soit avec le bombardement, la D.C.A. et les projecteurs de Chartres. Tous les ans des échanges d'unités ont lieu avec ces différents corps et l'on étudie en commun les questions les plus intéressantes. Relations courtoises et amicales qui se terminent souvent par de véhéments « expliquages de coups » sur la piste : mais contacts forts utiles puisqu'ils apprennent aux différentes subdivisions d'armes de l'aviation à se mieux connaître, tactiquement et moralement.

Enfin, tous les ans le régiment s'en va effectuer pour son propre compte des tirs et des bombardements au camp de Cazaux : séjour fort apprécié des escadrilles qui goûtent là le charme de la vie en commun.

Une autre tâche, fort captivante, incombe au 31e régiment d'aviation, problème capital pour l'aviation d'observation, sans lequel rien de ce qui est fait ne compterait : la formation et l'entraînement des officiers de réserve.

L'hiver, les officiers d'active sont détachés dans les principaux centres pour y faire des conférences. L'été, ce sont les officiers de réserve qui se déplacent. Ils viennent au camp où séjournent les escadrilles. On ne saurait trop louer leur empressement, leur ardeur et leur assiduité. Certaines escadrilles ont parfois dix observateurs de réserve en même temps, qui tous réclament une priorité de vol. L'activité aérienne prend alors une intensité qui rappelle, quoique moins tragique, celle de certaines heures critiques de la guerre.

Ah ! Certes, le Potez XXV-Lorraine 450 HP ne chôme pas. Par tous les temps, pour toutes les missions, il se prête avec une sorte de dévouement illimité aux exigences non moins illimitées de nos équipages.

 

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Et enfin il est encore une forme d'activité à laquelle le 31e régiment d'aviation ne demeure pas étranger : le sport. En France et à l'étranger, les cocardes du régiment de Tours savent triompher.

Nous ne parlerons pas des circuits classiques que toute escadrille militaire accomplit chaque année entre Saint-Inglevert, Metz, Strasbourg, Saint-Raphaël et Pau.

Mais les performances de l'Adjudant Foiny, pilote merveilleux qui mourut un jour dans le brouillard, victime de son ardeur, du Capitaine Morisseau, qui se tua il y a quelques mois à Villacoublay ; les performances de l'Adjudant-chef Duroyon et du Lieutenant Lassale, qui, en 1927, firent le raid de l'Europe Orientale par Prague, Varsovie, Cracovie ; qui, en 1928, partis de Casablanca, se classèrent « Premiers » du rallye international de Vincennes et qui, un mois après, réalisèrent leur fameux « Raid en étoiles », reliant en cinq jours Paris à cinq capitales européennes : Oslo, Varsovie, Rome, Madrid et Lisbonne.

Rappelons aussi le beau voyage à Prague qui fut accompli par le Général Pujo avec une escadrille du 31e.

 

Et concluons à l'aimable et saine existence de ce régiment privilégié.

Concluons à sa vitalité, comme à son unité. Ce fut l'œuvre constante de ceux qui depuis 1919 en ont assuré le commandement, Colonels Muiron, Précardin, Saint-Gall, Guillemeney, Tulasne et Voisin ; ce fut le mérite de leurs sous-ordres qui, grands ou petits, apportèrent leur contribution à l'œuvre commune.

L'esprit de corps y a pris racine.

Le 31e Régiment d'aviation d'observation est un régiment heureux.

 

(1) René Boilesve.

Article publié dans la REVUE DES FORCES AÉRIENNES – 1929 (pages 158-171)

Document Collection Vincent Lemaire

Photos S.H.A.A