Ciel dans la ville

A l'occasion des 75 ans de l'aéroclub (Rennes Airshow)

 

Origine du projet

Alexandre Koutchevsly (auteur, metteur en scène / Compagnie Lumière d'août) et Michel Jayat(comédien, clown, metteur en scène /Théâtre Chemin de Ronde) sont pilotes à l'Aéroclub de Rennes Ille-et-Vilaine, basé à Saint Jacques de la Lande. À l'occasion des 75 ans de l'aéroclub (Rennes Airshow) en septembre 2007, ils se sont dit qu'aéronautique et théâtre pourraient voler ensemble pendant quelques jours.

« Nous avons souhaité que cette semaine soit l'occasion d'ouvrir l'aéronautique au théâtre, et que la réciproque soit aussi vraie. Les deux mondes ne se connaissent pratiquement pas. Les pilotes vont peu au théâtre, les gens de théâtre sont rarement pilotes.

Ce qui peut relier les artistes, les pilotes et le public, c'est une mise en forme de la matière poétique que recèle l'aéronautique. Nous souhaitons travailler à devenir des passeurs de la poétique aéronautique. À Saint-Jacques de la Lande, nous aimerions faire lever les yeux aux habitants. Que la géographie aérienne descende dans la ville pour inciter ses habitants à regarder ce qui se trame quotidiennement au-dessus de leur tête.»

Laurent Quinton

Pourquoi j'ai écrit

« Tout le monde s'appelle Schmiedel »

 

J'ai toujours aimé les histoires avec des Allemands dedans.

1.

Lorsque Alexandre Koutchevsky m'a demandé d'écrire un texte pour « Ciel dans la ville », j'ai dit oui. Lorsqu'il m'a dit qu'il fallait alors que je travaille à partir de l'histoire d'un pilote allemand de la Seconde Guerre mondiale qu'on avait retrouvé, le nez dans la boue d'un champ du Rheu, j'ai dit oui. Lorsque je me suis aperçu qu'un livre et un documentaire avaient déjà été publiés sur le sujet, j'ai encore dit oui.

Et après avoir lu le livre, et vu le documentaire, j'ai tout de suite su ce que j'allais écrire, où j'allais me placer pour parler de cet événement que je découvrais, décidément, par personnes interposées.

2.

Je suis depuis longtemps persuadé que, d'une manière ou d'une autre, nous vivons toujours avec la Seconde Guerre mondiale, je ne sais pas d'où je tiens ça, mais ça occupe une bonne partie de mes journées depuis quelques années. Nous vivons avec les morts de cette époque, nous sentons leur présence à nos côtés, nous les mastiquons parfois quand nous en avons le courage. C'est comme ça. Comment faire autrement ? Comment nous sentir vivants, sinon ?

3.

Ce que j'aimais bien, dans l'histoire d'Harti Schmiedel, ce pilote allemand abattu en juin 1944 au-dessus du Rheu, et dont l'avion avait plongé, sans un bruit, dans ce champ qui n'était encore qu'un marécage, c'est qu'elle brassait un tas de réalités humaines, de conflits d'intérêt, d'enjeux propres à différentes époques, et qu'elle mêlait - une fois n'est pas coutume dans notre aujourd'hui qui prend bien soin de nous écarter des morts, des fous et des animaux - les vivants et les morts, et que les premiers essayaient, ça se voyait avec tous leurs petits attirails symboliques et compassionnels, de ne pas laisser déborder les seconds, qu'ils ne fassent pas tache d'huile, qu'ils restent, somme toute, bien confinés et silencieux comme l'avait été jusqu'alors Harti Schmiedel dans son Messerschmitt G 6 embourbé dans notre bel!e campagne ille-et-vilainoise.

4.

Je lis le livre fait sur lui, je regarde e documentaire sur lui, et j'entends : Harti est un être humain, avec ses faiblesses, ii a été broyé par l'époque dans laquelle il est né, etc., etc. J'entends : Harti était un bel homme, digne, brillant pilote, etc., etc. Je me suis dit alors : qu'est-ce qu'on ne dit pas, dans ce livre et dans ce documentaire ? le me suis dit : ce qui ne figure pas !à-dedans, c'est tout ce qui concerne les choix idéologiques des gens de cette époque. Qu'est-ce que ça voulait dire : être pilote pour l'armée allemande, entre 1940 et 1944 ? Qu'est-ce que ça impliquait, idéologiquement et moralement ? Je me suis dit : moi, ce qui m'intéresse quand il y a des histoires avec des Allemands dedans, c'est qu'on n'arrive toujours pas à comprendre comment ils ont été conduits à vouloir bouffer le monde entier, alors qu'ils auraient pu tranquillement continuer à faire la meilleure musique, le meilleur cinéma, la meilleure philosophie, et la meilleure bière de ce côté-ci de l'Oust.

5.

Et nous, dans tout ça ? Les gentils Français des années 2000 ? Nous qui avons

vu la chute du Mur de Berlin, et qui nous nous sommes dit . allez, on fait la paix,

on organise des voyages scolaires pour rapprocher Redon et Goch (Nordrhein-

Westfalen), on oeuvre pour !a fraternité des peuples sans plus jamais songer que

le Rhin nous sépare ? Mais nous, nous, qu'est-ce qu'on croit ? On croit qu'on est

vierge de toute idéologie ? On croit que l'idéologie a été arrêtée par la ligne Maginot, comme la grippe aviaire ou le nuage de Tchernobyl ? Mais nous, on n'a pas encore enterré nos fantômes, ceux qui portent avec évidence une belle moustache blanche, ou l'air bourru et fourbe d'un socialiste auvergnat indépendant ! Qu'est-ce qu'on a à déterrer ce pilote allemand, à pleurer sur lui et à le commémorer comme une victime innocente d'une guerre absurde ? Qu'est-ce qu'on veut faire croire de nous-mêmes, en déterrant ce type qui nous aurait peut-être effrayé, s'il avait pu nous parler de ses engagements, de ce à quoi il croyait, de la grandeur du IIIe Reich, de la supériorité des pures brutes blondes sur les races inférieures, et de l'excitante puissance de feu de ces machines de mort que sont les Messerschmïtt G 6 ? Qu'est-ce qu'on lui aurait dit, à ce pilote beau et bronzé ? Que la guerre est une saloperie ? Et qu'à présent, il faut s'aimer car tout ça c'est du passé ?

6.

Ça, les morts, on aime bien parler à leur place. C'est pratique.

7.

D'Harti Schmiedel, du corps d'Harti Schmiedel dont il est à peine question dans le livre, !es énormes pelleteuses or-,' rapporté des bouts à la surface : poumons, chair, testicules, En latin, testis veut dire a témoin» et testiculus, c'est le« petit témoin ».

Ce qu'on a retrouvé d'Harti Schmiedel, c'est donc bien un témoignage. Le plus fragile et plus costaud des témoignages - par quel miracle de la nature ces petits témoins ont-ils été préservés du choc à 900 km/h et de 60 ans de pourrissement ? Qu'ont-ils à nous transmettre -) Qu'est-ce qu'ils essaient de nous dire ?

Le poète de langue allemande Paul Celan n'a probablement pas écrit ce poème en pensant à Harti Schmiedel, mais il correspond très bien à son histoire :

« J'ai vu mon peuplier descendre à l'eau

j'ai vu son bras aller s'accrocher dans la profondeur,

j'ai vu ses racines supplier le ciel que vienne une nuit.

Je n'ai pas couru derrière lui,j'ai seulement ramassé par terre la miette

qui de ton oeil a la forme et la noblesse

j'ai ôté à ton cou la chaîne des formules

et j'en ai ourlé la table où la miette se trouvait maintenant. »

 

1 • François Bertin, Hubert Budor, Harti et Margot, Rennes, Éditions Ouest-France, 2004.

Deux volumes : « Le temps de la guerre » et « Le temps du repos »

Le documentaire, dû à Hubert Budor, s'intitule également Harti et Margot.

Voici au format PDF GOle texte de la pièce de théatre jouée lors de la 1ère soirée, le mardi 18 septembre.

COMPAGNIE LUMIÈRE D’AOÛT

81 rue de l'Alma – 35 000 Rennes

Tél. : 02 99 79 32 91 / 06 78 52 33 86

Mail : lumiere_daout@yahoo.fr

Site web : www.lumieredaout.net

Licence d'entrepreneur de spectacles n° 351133

La compagnie Lumière d'août reçoit le soutien de la DRAC Livre et Lecture

Bretagne, du Conseil Régional de Bretagne, du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine et de la Ville de Rennes.

 Ce message pour vous prévenir qu'une vidéo de mon texte "Tout le monde s'appelle

Schmiedel" (à propos de l'aviateur allemand Harti Schmiedel qui s'est écrasé en 1944

au Rheu) a été mise en ligne sur YouTube récemment. Vous pourrez avoir un aperçu de

ce que donnait ce texte mis en scène, à côté de l'aéroport de Saint-Jacques :

 

http://www.youtube.com/watch?v=EZs9VYeRprA

 

Laurent Quinton.