Approche du récit d'évasion du Lieutenant Alfred Houston raconté au journaliste Geoffrey Hewelecke du Maclean's Magazine en Janvier 1945. Ce récit apporte des précisions sur les conditions d'accueil et de vie des cinq aviateurs Canadiens, au sein des maquis des Côtes du Nord, lors de leur évasion, suite à la chute de leur bombardier Wellington à Bourbriac vers 0 heure 30 le 21 avril 1944. Le lieutenant à un certain moment de son récit parle de l'attaque d'un Junker 88 dont un obus aurait percé un des réservoirs de carburant. Au vu des Archives de la Luftwaffe, des comptes rendus de missions, ainsi que des revendications de victoire sur des appareils Alliés pour la nuit du 20 au 21 avril 1944, il n'est pas possible de prendre en compte cette affirmation du Lieutenant dans la cause du crash de son bombardier WELLINGTON. En effet cette même nuit, aucune revendication allemande dans ce sens n'existe. Nous retrouvons 4 bombardiers Lancaster de la Royal Air Force abattus lors d'un raid sur Clichy sur Seine, La Chapelle, Le Blanc Mesnil en région Parisienne. Autrement, rien. Rappelons qu'il était le navigateur de cet appareil. Il n'avait pu faire le cap de retour, quelque peu compromis par le non aboutissement de sa recherche qui aurait ramené l'appareil et l'équipage à sa base avait par le fait, échoué. Il a vraisemblablement cherché à donner cette autre raison, en parlant d'une attaque qui en fait n'a pas eut lieu, c'est ce qu'il en résulte de l'analyse faite par notre groupe qui s'est penché récemment sur ce dossier. Dans les comptes rendus de retour d'évasion en Angleterre (archives), rédigés le 14 juillet 1944, aucun des cinq aviateurs Canadiens dont le Lieutenant Houston n'a parlé de cette attaque de Junker.

 

Dessin réalisé d'après un croquis de M. Paturel

 

La mission sur Blois n'était pas une mission de bombardement lourd. Les containers de tracts transportés ne pesaient pas et la logistique avait assuré à l'appareil une autonomie suffisante en carburant. Lorsque le Lieutenant Houston a contacté la balise de guidage, il restait à l'appareil plus d'une heure d'autonomie. Largement de quoi rentrer à Castel Donnington d'où ils étaient partis. Le lieutenant parle dans son récit d'un médecin qui avait soigné le sergent John Kempson avant sa mort et que les Allemands auraient assassiné ceci annoncé par un jeune résistant de 17 ans. Il semble que la aussi le Lieutenant emporté par l'émotion, exprime à sa manière ce ressenti. Il avait bien rencontré le Docteur Secardin qui était venu tous les jours précédent la mort du jeune aviateur au village de Coat Mael où il était caché. Il dit aussi avoir apprécié la gentillesse du docteur. Nous pensons que le lieutenant dans les mois qui ont suivi son retour au Canada à appris cette triste nouvelle qui en fait ne touchait pas le docteur lui même mais son fils torturé et assassiné avec six camarades au lieu dit Garzonval en Plougonver le 16 juillet 1944. Nous en avons déduit ceci, car aucun médecin ayant soigné le Sergent Kempson ne subit ce sort tragique à notre connaissance. Le Lieutenant Houston évoque la mort tragique de cette petite fille victime d'un tir Allemand dans une rue à l'heure du couvre feu . Il n'a pas été possible de localiser la ville ou se drame horrible s'est passé.

 

EVASION par F/O (Officier de l’Armée de l’Air) Alfred J HOUSTON

Raconté à Geoffrey HEWELCKE

 

Les ténèbres m’entouraient, et dans l’angle du grand talus breton, directement derrière moi, l’obscurité de la nuit était encore plus profonde. Le ciel au-dessus était couvert. En-dessous, je pouvais toucher de la main des terres fraîchement labourées. L’odeur des terres me semblait aussi bien que n’importe quel champ fraîchement labouré à Ontario. Je remuais mes doigts de pied dans mes bottes d’aviateur mouillées, et je continuais à attendre.

Bientôt, j’ai entendu quelqu’un siffler au loin – un petit air de jigue. De plus près quelqu’un d’autre a repris la mélodie. Puis les deux siffleurs se sont arrêtés.

Tout d’un coup je me suis trouvé entouré d’hommes. Il me semblait qu’ils étaient sortis de la terre même. Ils étaient nombreux.

Près de mon épaule, j’ai entendu dire, ‘Nous sommes des Patriotes. Nous luttons pour la France. Nous sommes les hommes de DE GAULLE’.

J’ai serré la main à la personne, qui m’a adressé. C’était leur capitaine. Je vais l’appeler Tony, même si ce n’est pas son vrai nom. Je dois vous dire dès maintenant que tous les noms que j’utilise dans ce récit, ne sont pas les vrais noms, au cas où les allemands gardent certains de leurs familles comme prisonniers. Les allemands peuvent se venger sur ces incarcérés…..ça je le sais.

Tony a touché de ses doigts mon uniforme de bataille RCAF, et il a fait signe de la tête.

‘Ça ne va pas’, a-t-il dit. Il a parlé brusquement en français, juste quelques mots, et un paquet de vêtements m’est parvenu de quelque part derrière nous. A la touche, j’ai découvert un pantalon civil, un gilet, et des souliers cloutés, que plus tard j’ai reconnu comme de l’uniforme allemand. J’ai changé de vêtements là où j’étais, dans la nuit noire.

Puis quelqu’un m’a passé un pistolet-mitrailleur Sten. ‘Chargé ?’ Ai-je demandé. ‘Chargé,’ a été la réponse….. Je faisais partie maintenant du groupe de Patriotes de Tony – du groupe que plus tard les journalistes appelleraient le ‘Maquis’, mais je n’entendais jamais ces hommes utiliser ce nom eux-mêmes.

Plus tard la même nuit, Tony et mes nouveaux camarades m’ont emmené dans une grange où on a pu allumer une bougie en sécurité. C’était le moment où je les ai vus. Il y en avait à peu près une trentaine – des hommes d’aspect dur et hâlé, la plupart entre les âges de 18 et 30 ans. Tous, ils sont ‘allés dans les champs’, plutôt que de partir en travaux forcés pour les allemands. Tous étaient armés - ou avec des pistolets mitrailleurs Sten et grenades, parachutés par nos avions – ou avec des fusils et pistolets allemands. Si un Patriote avait un fusil allemand en main, j’ai vite compris qu’un soldat allemand se décomposait dans une tombe peu profonde quelque part au milieu d’un champ breton.

Dans la grange, j’ai expliqué à Tony et aux autres, que j’étais navigateur d’un RCAF Wellington et que notre mission avait été de parachuter des brochures au-dessus d’une ville pour avertir les habitants d’éviter les routes au moment du commencement de l’invasion ; et que c’était en retournant que nous avions rencontré un Junkers 88 et que notre réservoir à gaz avait été percé par un obus allemand. Je lui ai dit qu’il y avait cinq autres membres de l’équipage quelque part dans un rayon de 20 miles.

Tony a pris note de leurs noms et de leurs signalements. Il s’agissait de Flying Officer Harold BRENNAN, pilote. Il venait de Lindsay, Ontario. Moi-même, je viens de Toronto. Avant la guerre j’étais représentant de produits chimiques pour la société A. S. BOYLE. Il y avait les sergents Andy ELDER, canonnier arrière (rear gunner), qui était de Vancouver, British Columbia ; Ernie TROTTER, de Cornwall, bombardier ; Roger DICKSON, de Vernon, British Columbia, canonnier de dessus au milieu (mid upper gunner), et Johnny KEMPSON, radiotélégraphiste, de Surbiton en Surrey – le seul anglais parmi notre équipe de canadiens.

La date était le 20 avril, au printemps de l’année dernière. J’ai expliqué à Tony que j’avais conseillé aux gars de si diriger dans la direction sud-est vers la frontière espagnole, quand nous avions sauté de l’avion ; et il a pris note de ça aussi.

Quelques minutes plus tard, j’ai entendu la sonnette d’une bicyclette dehors, et Tony a éteint la bougie, pour pouvoir ouvrir la porte. Puis il l’a rallumée. Une fillette a poussé ses tresses derrière ses épaules, et s’est tenue debout, droit devant lui. Elle était une des messagères qui faisaient partie du système des Patriotes – et elle était fière de son rôle.

Elle a parlé rapidement avec lui, dans une langue que je n’ai pas reconnue. Très sérieux, il a fait signe de la tête, elle a continué à parler. Bien entendu, elle parlait breton – une langue qui ressemble au gallois – et dont je ne comprenais pas un mot.

‘On a trouvé un de vos amis, gravement blessé.’ Tony s’est retourné vers moi, ‘Un jeune, aux cheveux noirs, et au visage long.’

J’ai réfléchi un instant.

‘C’est sûrement Johnny Kempson’, j’ai suggéré, ‘Qu’est-ce qui lui est arrivé ?’

‘Un médecin est avec lui, à 20 miles d’ici,’ m’a dit Tony, ‘On l’a trouvé inconscient parmi des rochers dans des landes. Vous voulez le voir ?’

‘Bien sûr,’ ai-je dit.

Tony a parlé à quelqu’un derrière nous. Encore une fois, la bougie a été éteinte, et la porte de la grange a ouvert. Encore une fois on a rallumé la bougie.

‘J’ai dit à un des gars de voler une voiture’, Tony m’a dit, ‘Il sera bientôt de retour.’

Il m’a regardé d’une manière curieuse, presque avec envie.

‘Ça doit être magnifique de pouvoir voler dans ces avions,’ m’a-t-il dit, ‘De pouvoir tirer sur les allemands – de pouvoir les bombarder. Nous qui sommes obligés d’avancer à quatre pattes dans les champs et dans les fossés, on donnerait notre jambe droite pour pouvoir faire comme vous.’

‘Vous aussi, vous avez un travail à faire,’ je lui ai suggéré.

Tony a fait signe de la tête. ‘C’est vrai,’ a-t-il admis, ‘Et on le fait. Ne croyez pas qu’on n’est pas soldat parce qu’on n’a pas d’uniforme. On a tué un grand nombre d’allemand, et on en tuera encore.’

La férocité de sa voix m’a surprise. Mais maintenant, non. Je sais maintenant ce que font les allemands aux Patriotes quand ils les prennent.

Pourtant, le moment après, Tony m’a demandé si tout s’était bien passé quand j’avais parachuté de l’avion. Je lui ai dit que j’avais atterri dans un champ, tout en chantant à pleine voix, tellement j’étais heureux d’être encore vivant. Il a souri quand je lui ai expliqué que mon parachute n’avait pas ouvert immédiatement. Il a souri d’un air approbateur quand je lui ai raconté comment je m’étais sauvé à travers les champs et les talus, à travers une rivière, et puis que j’avais rebroussé chemin pour essayer de confondre les chiens que j’avais entendu aboyer au lointain, des chiens qui auraient pu montrer ma piste aux allemands. Je lui ai raconté également tout mon parcours de ce jour avant de rencontrer finalement l’homme qui m’avait emmené au champ où je leur avais rencontré.

Très peu de temps après, une voiture est arrivé devant la grange. Cinq des Patriotes, et moi-même sommes montés dedans. Les allemands avaient interdit à la population d’être dehors après 9 heures du soir. Mais cela ne changeait rien aux Patriotes.

Plus tard, je me suis trouvé à côté de Johnny. Il avait le visage gris. Un médecin et une femme s’occupaient de lui.

‘Johnny,’ ai-je crié.

Il a tourné la tête un petit peu, mais c’était évident qu’il ne me voyait pas. Je me suis mis à genoux à côté de son lit. Il a mis ses bras autour de moi.

‘Je veux retourner chez moi,’ m’a-t-il murmuré. Le médecin, un homme aux cheveux gris, et avec un visage gentil et aimable, a secoué la tête. Je lui ai pris à part et il m’a expliqué la mauvaise nouvelle. Les Patriotes avaient trouvé Johnny parmi les rochers. Peut-être que son parachute l’avait tiré par là. En tout cas, il avait une fracture crânienne, et des blessures internes aussi.

‘On ne pourrait pas trouver un moyen de le faire passer dans un hôpital militaire allemand,’ ai-je demandé, ‘Là, il aura une chance.’

Le médecin a souri tristement. ‘Pas maintenant,’ a-t-il dit, ‘Je lui ai déjà soigné, et les allemands le sauront – je serais fusillé, parce que dans leur règles, ils disent qu’un parachutiste blessé doit être laissé là où il est tombé.’

Les patrouilles allemandes venaient souvent à ce village, et Tony a pris la décision d’emmener Johnny Kempson dans un autre lieu. Nous l’avons mis dans la voiture et nous l’avons conduit jusqu’à un autre village à une distance d’environ 15 miles de là. On l’a mis dans une grange sur la paille. Je suis resté avec lui, ainsi que 2 des Patriotes.

Ils ont creusé une tombe

Au cours des prochains 5 jours, tout le reste de l’équipe de Wimpy ont été trouvé par les Patriotes, qui nous les emmenaient un par un.

Pendant cette période, le médecin a rendu visite à Johnny tous les jours, et a fait venir un spécialiste d’une ville voisine, un spécialiste en trauma crânien.

Malgré nos soins, et malgré les visites journalières des 2 médecins, Johnny est décédé le matin du sixième jour. On savait qu’il allait nous quitter, et avant sa mort, les Patriotes ont fait venir un curé, même si Johnny n’était pas catholique.

Cette nuit-là, l’équipe de Wimpy s’est rassemblé dans le village. Ils (les habitants du village ?) avaient passé la journée à creuser une tombe pour Johnny sur une colline à environ 15 miles d’où on était. Ils avaient creusé pendant 9 heures pour faire la tombe, tellement la terre était rocailleuse.

Tôt le lendemain, nous avons enterré Johnny. Notre équipe a formé une haie d’honneur ; un curé du village le plus proche a célébré la messe, et un groupe de Patriotes déguenillés, penchés sur leurs fusils, ont assisté, mais un peu à l’écart.

Six semaines plus tard, j’y suis repassé, et j’ai vu que les enfants du village avaient mis des fleurs sur cette tombe de cette personne qui leur était inconnue.

Après l’enterrement, Tony nous a rassemblés un peu à part.

‘Maintenant, on est prêt’ a-t-il dit.

‘Prêt à quoi ?’ Ai-je demandé.

‘Vous voulez regagner la frontière espagnole ?’ A-t-il dit. ‘Cela fait partie de notre devoir en tant que Patriotes, d’aider les aviateurs des Alliés à s’évader des allemands…. Vous êtes des combattants d’une grande valeur…. Cela a coûté beaucoup de temps et d’argent pour vous former pour vos tâches…. Eh bien, 18 hommes de notre groupe vous conduiront dans la direction du sud-est, jusqu’aux limites de notre territoire. On sera guides et gardiens pour vous. On vous emmènera et on combattra pour vous. Et on ne vous demande qu’une seule chose – de ne pas risquer vos vies en combattant, sans la nécessité de le faire…… Laissez le combat à nous.’

Nous sommes partis, direction sud-est.

L’attaque de la Gestapo

Traverser le pays avec les Patriotes était sans problème – au début. Plus tard, quand la Gestapo nous suivait de plus en plus près, cela est devenu un cauchemar. Derrière nous, nous avons laissé une traînée de sang et de souffrance. Au début, pourtant, les Patriotes connaissaient les routes où il y avait peu de risques de tomber sur des patrouilles. Ils connaissaient quels fermiers nous donneraient à manger sans poser de questions….. Quelles forêts étaient les plus sûrs.

En plus leur ‘service d’information’ était tellement bien organisé. Des filles à bicyclette, de jeunes fermiers, des fils de fermiers, passaient de temps à autre. La nuit, on entendait quelqu’un siffler une mélodie dans les ténèbres…. Un des nôtres sifflerait une autre mélodie. Il y aurait une réponse sifflée et une forme obscure sortirait des ombres pour nous murmurer quelques mots d’information.

Mais les allemands ont frappé rapidement. La deuxième nuit, à environ 40 miles de l’endroit où nous avons enterré Johnny, j’ai été réveillé par des voix tout près de moi. Je leur ai écouté, et je me suis mis debout. Une des voix appartenait à un jeune d’environ 17 ans, qui nous avait aidés à soigner Johnny Kempson. Il n’était pas venu avec nous, mais maintenant il a réussi à nous retrouver, et il avait une histoire affreuse à nous raconter. D’une manière ou d’une autre, les allemands ont appris l’histoire de Johnny. Ils ont été informés du rôle du médecin. Ils l’ont torturé. Ils ont cassé ses deux poignets, ils les ont tordus…. Puis ils l’ont tué.

La voix du jeune homme était dur et sans émotion. Il a aussi raconté que lui-même avait été capturé mais qu’il a pu se sauver.

C’était le premier français, à donner sa vie pour nous ; ce médecin doux et gentil qui savait bien qu’il risquait sa vie pour soigner Johnny ; mais qui venait quand même tous les jours. Je n’ai jamais connu son nom.

Tony nous a réunis immédiatement. Il nous a dit que c’était évident que les allemands avaient des informations sur nous, puisque ils en avaient sur Johnny. Ça voulait dire que la Gestapo devant nous serait avertie, et que derrière nous, la Gestapo suivait déjà nos traces. Il fallait continuer avec beaucoup de prudence.

On s’est mis en route toute de suite. Le jeune, qui nous avait donné les affreuses informations, devait rejoindre un autre groupe de Patriotes.

Peut-être c’est maintenant le moment de vous parler de nos guides. Il y avait bien sûr Tony, grand, bronzé, extrêmement efficace en tant que chef et capitaine élu de la bande. Il avait vécu ‘dans les champs’ depuis la reddition de la France.

Un des autres était coiffeur et il nous coupait les cheveux. Deux d’entre eux, étaient marins.

Parmi les autres il y avait des employés de bureau, des ouvriers, et des fermiers et des ouvriers agricoles. Agés tous d’entre 18 et 30 ans ; physiquement en forme et donc recherchés par les allemands pour les travaux forcés. Tous sans exception avait une forte détermination de lutter contre les allemands jusqu’au dernier souffle. Ils se considéraient comme soldats pour la France.

Un groupe de Patriotes n’était jamais trop nombreux – environ 15 ou 20 hommes ou femmes au plus, qui collaboraient avec eux, mais qui pour la plupart ne vivaient pas ‘dans les champs’. Chaque groupe avait un capitaine élu. Chaque capitaine répondait à un officier supérieur. Chaque officier supérieur avait 5 groupes sous son contrôle. Chaque officier supérieur répondait à un pouvoir au-dessus de lui, qui était en contact avec l’état-major du Général DE GAULLE, d’où il recevait ses ordres, et à qui il transmettait leurs demandes d’armes et de dynamite.

La flexibilité de l’organisation était vraiment incroyable et en même temps le système de commande fonctionnait parfaitement.

Coup de feu du couvre-feu

Nous avons continué sur notre chemin, et nous avons trouvé de quoi manger dans la nature, autant que possible, en faisant la chasse aux lapins dans les bois, et en prenant des poissons dans les rivières. A l’occasion, nous avons pu acheter du pain dans des fermes isolées.

Bientôt nous avons reçu un nouveau message, pour nous avertir que la Gestapo était sur notre piste. Nous nous sommes divisés en petits groupes de 2 ou 3. Pendant environ 4 jours, mes deux guides se sont occupés de moi, et par la suite nous avons pu rejoindre les autres dans une petite ville beaucoup plus au sud.

Ce vendredi, au soir, un médecin de la ville est venu nous voir. Il a invité nous les canadiens à lui rendre visite pour le weekend.

‘Vous pouvez manger de la bonne cuisine faite maison’, a-t-il dit en souriant, ‘En plus, je pense que vous voudriez bien prendre un bain et dormir entre des draps.’

Nous étions incertains. ‘Cela ne vous entraîne pas trop de risques ?’ Nous lui avons demandé. ‘Je pense savoir m’occuper de mes affaires,’ a-t-il répondu en souriant.

Samedi, à midi, nous avons quitté notre camp deux par deux. Un membre de l’équipage avec un guide des Patriotes.

Après notre weekend de repos à la maison du docteur, nous sommes repartis juste avant l’heure du couvre-feu, imposé par les allemands, à 9 heures du soir, et nous nous sommes dirigés vers les limites de la ville. Tout d’un coup l’éclaireur Patriote, un peu à l’avance de nous, a levé la main pour nous avertir. A l’instant, nos guides nous ont poussés vers l’entrée d’une petite ruelle.

‘Il y a une patrouille allemand qui s’approche de nous…..’ Ont-ils chuchoté.

Dans une maison près de nous, une porte s’est ouverte, et une fillette de 5 ou 6 ans, en est sortie en vitesse. Elle avait rendu visite à une copine, et était restée trop longtemps. Elle était arrivée au milieu de la rue, quand nous avons entendu la claque sèche d’un fusil. La fillette s’est retournée vivement ; et puis elle est tombée….Elle a donné deux petites secousses avec ses pieds…..Et puis elle n’a plus bougé.

Nous, aviateurs, étaient stupéfaits et horrifiés par la violence brutale de l’acte. La nausée nous a pris. Puis nous avons saisi nos Stens, et nous étions sur le point de sortir en courant de la ruelle, quand les Patriotes nous ont retenus.

‘Mauvaise idée,’ nous ont-ils dit, ‘Pas bon. Si vous tuez la patrouille – les boches vont prendre leur revanche en tuant 30 ou 40 habitants de cette ville’.

Avec beaucoup de précaution, ils ont regardé autour, et ils ont surveillé la rue. Au carrefour, nous avons pu voir, à peine et avec difficulté, quatre allemands, portant à la tête des casques en acier. Ils étaient penchés sur leurs bicyclettes. Un d’entre eux, sur ses gardes, tenait son fusil et regardait en même temps le petit corps pitoyable près de nous. Mais il n’a pas osé l’approcher. Un petit peu de temps plus tard, les allemands sont montés sur leurs bicyclettes et sont partis.

‘Ça c’est la France comme elle est aujourd’hui,’ mon guide a chuchoté. ‘Regardez, il y a une fenêtre d’ouverte pour voir pourquoi il y a eu cette fusillade.’

‘C’est l’enfer,’ ai-je dit.

‘Cela ne va pas durer longtemps – je vous le jure, cela ne va pas durer,’ m-a-t-il répondu avec émotion.

 

Notre route barrée

Deux jours plus tard et nous étions à la limite du territoire connu par Tony et son groupe. Un autre groupe de Patriotes nous a rencontrés et c’était maintenant à eux de nous accompagner plus loin. Le groupe consistait de 13 hommes sous la commande d’un capitaine que j’appellerai ‘Jean’. C’était un ancien capitaine de L’Armée qui vivait maintenant ‘dans les champs’.

Pendant deux jours, nous avons continué notre voyage avec lui, et puis un messager est arrivé pour l’informer, que les allemands ont appris que beaucoup d’aviateurs alliés arrivaient à s’évader en passant par l’Espagne. D’entiers régiments de la Gestapo avaient été mobilisés pour patrouiller la frontière. Cela ne servait à rien de continuer.

Alors nous avons fait demi-tour, et repris le chemin vers le nord et vers la Bretagne ; pourtant nous n’avons pas pris la même route que la première fois.

Une semaine plus tard nous avons aperçu une patrouille allemande, d’une vingtaine de soldats. Ils nous ont vus aussi. Immédiatement ils nous ont poursuivis à travers les champs. Ils allaient nous rattraper et en plus ils possédaient des fusils d’une portée plus longue que nos mitraillettes. Les balles arrivaient de plus en plus près.

Bientôt on serait obligé de les combattre, et ils étaient plus nombreux et mieux armés. A quatre pattes, nous avons traversé un talus boisé, ce qui nous servait d’obstacle, quand un des Patriotes – un jeune de 28 ans, costaud, bronzé, s’est approché subitement du capitaine Jean, et l’a salué.

‘Je demande permission de rester ici pour combattre l’ennemi,’ a-t-il dit. ‘Avec mon Sten et peut-être un autre aussi, j’arriverai à les retenir pour une demi-heure, pour vous donner le temps d’échapper.’

Le capitaine Jean l’a regardé de près. Puis il a salué. ‘Permission accordée,’ a-t-il dit.

Le jeune homme a pris un autre Sten et s’est installé dans le fossé, ses armes dirigées à travers le talus en direction du champ de l’autre côté. Il s’est mis à tirer toute de suite.

‘Venez vite,’ le capitaine Jean nous a donné l’ordre. ‘Que son sacrifice ne soit pas pour rien.’

Nous avons continué en courant. Derrière nous, nous avons pu entendre le bruit des fusils, et puis du silence. Un peu plus tard, nous avons entendu des cris aigus, un bruit affreux et angoissant. Plus tard nous avons appris qu’il avait été blessé, capturé, et puis rapidement torturé à mort.

Quelques jours plus tard, nous étions en train de traverser un champ, quand des balles ont claqué dans l’air autour de nous, suivies quelques secondes après par le bruit sec d’une détonation. Nous sommes tombés par terre – mais un des Patriotes est resté sans bouger.

‘Il est mort,’ a dit le capitaine Jean. ‘Léo, Paul, Jacques et André – c’est votre devoir de prendre nos aviateurs au bois près du ruisseau, que vous connaissez. Vous autres, restez ici avec moi, et on va repousser les allemands.’

A quatre pattes, nous avons réussi à atteindre un fossé, et nous nous sommes dirigés à plat ventre vers un passage dans un talus. Derrière nous, des fusils claquaient.

Cette nuit, le capitaine et deux des autres nous ont retrouvés. Les trois autres étaient restés dans le champ, tués par les allemands. A leur avis, ils avaient réussi à tuer au moins deux de l’ennemi, et les allemands ont finalement pris la décision de se retirer.

Nous avons continué notre chemin vers le nord pour une distance d’à peu près 80 miles, jusqu’à un vieux moulin. Ici on nous a dit que nous serions obligés d’attendre quelque temps, pour donner aux Patriotes la possibilité d’organiser une autre solution pour notre départ. En attendant, nous devions vivre dans une petite pièce, au grenier du moulin ; nous devions prendre soin de ne pas faire du bruit parce que les allemands venaient régulièrement prendre leurs repas dans la salle, deux étages en-dessous de nous. Nous avions le droit de fumer seulement quand personne d’autre n’y était. La nuit, nous devions prendre soin de ne pas faire apparaître de la lumière, et nous ne devions pas nous approcher de la seule fenêtre, couverte comme elle était de toiles d'araignée. La femme du meunier, une dame très aimable, ainsi que sa fille, nous apportaient de quoi manger.

Un séisme de fusils

Nous sommes restés dans cette pièce pendant six semaines ; six semaines qui étaient parmi les plus monotones et ennuyeux de ma vie.

Dans la pièce il y avait deux lits. Nous étions cinq, ce qui voulait dire que chaque nuit un de nous dormait au sol, sur le plancher. On avait un jeu de cartes, une table avec cinq chaises, un sceau de toilette. Rien de plus.

On jouait au bridge, et ça sans cesse. Vivre si près des autres, cet existence si monotone, devoir chuchoter pour parler ; petit à petit les autres vous énervaient, et nous avons fini par se détester.

C’était pendant ce temps que nous avons appris que le médecin qui nous avait accueilli pour ce beau weekend, a été obligé avec sa femme d’aller vivre ‘dans les champs’, parce que les allemands ont réussi à découvrir ce qui s’était passé.

De temps à autre les Patriotes passaient nous rendre visite, avec des cigarettes et du tabac de pipe volé dans un entrepôt du coin. La ration de cigarettes pour les civiles était de 20 cigarettes par mois : chacun de nous fumait plus que ça par jour.

Au moulin, on avait le temps de réfléchir, et de s’inquiéter pour nos familles – et de penser à l’inquiétude dont nous étions la cause. Nous étions bien sûr portés disparus, et ils ne savaient pas si nous étions toujours en vie.

Par moments, nous avons même discuté de notre situation, et s’il valait vraiment l’effort de continuer à essayer de nous évader ; peut-être que ce serait mieux de nous livrer aux allemands. Mais à chaque occasion que cette idée nous venait à l’esprit, on se souvenait de tous ceux qui avaient donné leur vie, sans nous le reprocher, et volontiers – parce qu’ils pensaient sauver la vie à des combattants formés et expérimentés : impossible pour nous de baisser les bras.

C’était le 6 juin – le Jour J – pendant la cinquième semaine de notre séjour au grenier de ce moulin. C’était à moi de dormir au sol, et je me suis réveillé en pensant qu’il y a eu un tremblement de terreGO, qui a secoué le bâtiment. Je suis resté allongé sur les planches en bois et j’ai encore ressenti des tremblements de terre. J’ai bien écouté, et j’ai entendu des canons au loin. Immédiatement j’ai réveillé mes camarades, et nous sommes restés dans le noir, les oreilles tendues.

Nous avons bien deviné et compris ce qui se passait. A notre avis il y avait trop de bruit pour que ce soit du tir de DCA (contre les avions). Ce qu’on entendait c’était des canons navals – en tout probabilité des obus préliminaires avant l’Assaut.

A 9 heures du matin, le neveu du meunier est entré dans la pièce en courant, deux bouteilles de vin en main, les larmes aux yeux.

‘Les anglais ont débarqué,’ a-t-il crié. Derrière lui un cliquetis sur l’escalier. Le meunier, sa femme et leur fille montaient l’escalier. Nous avons ouvert le vin, et nous avons bu en silence à cette glorieuse matinée, et par la fenêtre nous avons regardé les groupes de travailleurs forcés, poussés par les allemands, en train d’enfoncer des poteaux en bois dans la terre, pour empêcher aux planeurs des forces de l’invasion d’atterrir.

Cette même nuit, et les nouvelles étaient encore une fois, dures. Les allemands avaient entouré et tué une bande de 18 Patriotes, qui habitaient à 2 miles de nous. Parmi ces morts, il y en avait 4 qui nous avaient apportés des cigarettes. Sept ont été tué en combattant l’ennemi, et les onze autres ont été pris par les allemands et torturé à mort. Il y avait forte possibilité que les allemands auraient découvert des informations sur notre existence.

Le lendemain matin le meunier a monté l’escalier en vitesse, et en criant à haute voix, ‘Allez, allez – les Boches…’

En moins d’une seconde, nous sommes descendus en courant, et nous l’avons suivi vers l’arrière du bâtiment où il nous a fait signe de nous sauver vers un marais à 300 mètres de là. Les allemands avançaient sur la route. Nous nous sommes précipités vers le marais, et nous nous sommes cachés parmi les joncs, et pendant ce temps, la voiture de l’armée allemande est arrivée devant le moulin. Un officier en est sorti.

Très bientôt, nous avons entendu deux coups de fusil.

Impossible pour nous de savoir ce qui s’est passé, mais nous avons eu peur pour nos hôtes, qui ont été peut-être tué. Dans l’après-midi, la fille du meunier est arrivée avec un tas de pain, du beurre, et une carafe de cidre. Elle nous a expliqué que ses parents n’étaient pas en danger. Un des officiers avait tiré son fusil, quand un fermier et sa charrette s’étaient approchés lentement du moulin, au moment où les allemands avaient voulu partir. C’était leur façon de dire, ‘Laissez-nous passer ou prenez les conséquences.’ On s’attendait quand-même à d’autres fouilles.

Une jeune femme, si belle et si gentille

Cette nuit-là, nous sommes restés dans le marais, et toute la journée suivante aussi, jusqu’à minuit quand on nous a dit de retourner au moulin. Nous avons eu de quoi manger, et nous avons rencontré notre nouveau guide. C’était une jeune femme d’environ 19 ans – une fille blonde et habillée à la mode – je l’appellerai Paulette. Elle était aussi une des plus gentilles jeunes femmes que j’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, et elle était Patriote et responsable pour des missions d’une difficulté extrême.

Elle nous a expliqué que la tête de pont en Normandie était à une bonne centaine de miles de nous, et que ce serait trop dangereux pour nous de nous y approcher. Cependant une autre solution avait été organisée, nous a-t-elle rassuré, en nous souriant, les yeux pétillants et pleins de vie.

Cette première nuit, nous l’avons suivi pour 10 miles. Elle est restée avec nous pendant 3 jours et 3 nuits, et elle nous a laissé avec un autre groupe de Patriotes, avec qui nous avons passé une semaine.

Après 8 jours, Paulette est revenue pour la prochaine étape.

Le lendemain, nous sommes partis à pied à huit heures du matin, et nous avons passé quatre heures à essayer d’entrer dans une petite ville sans être aperçus par les patrouilles allemandes. C’était la ville où habitait Paulette – et en plus les allemands y maintenaient une garnison – juste en face de la maison de Paulette.

Finalement nous avons réussi à nous enfiler inaperçus dans la maison, et nous avons eu l’occasion de rencontrer sa mère – une vieille dame impressionnante qui avait perdu quatre fils pour la France. Le dernier de ses fils était parti en Angleterre pour rejoindre l’Armée de l’Air (RAF) ; et maintenant il était porté disparu. Il ne lui restait plus de fils, et c’était maintenant à Paulette de continuer le combat pour la France….. C’était comme ça dans cette famille.

Nous avons été à peine une heure dans la maison, quand dehors nous avons entendu des cris et des coups de fusils dans la rue. C’était une patrouille allemande qui se comportait comme des cow-boys. Ils ont démoli la porte d’entrée de la maison après la maison d’à côté, et ont forcé les habitants de les accompagner.

A la fin, nous nous sommes couchés…. Brennan et moi-même dans une chambre, et les 3 autres dans une autre chambre. Le lendemain, nous avons pu regarder avec intérêt, les allemands sortir de leur caserne en face ; de les regarder mettre toutes leurs possessions dans des charrettes de ferme, avant de partir pour le front. Il nous semblait qu’il ne restait que de jeunes garçons et des hommes âgés. Certains, parmi les jeunes, pleuraient.

Encore 2 nuits, et Paulette nous a informé qu’il était temps de partir – la dernière étape - et nous l’avons suivie en direction de la côte. Sur le chemin, d’un buisson quelconque, elle a retiré un détecteur de mines magnétique, avec des écouteurs. Quelque part, elle avait appris à l’utiliser – et elle aurait en avoir besoin – parce que nous sommes entrés dans un champ de mines qui s’étendait pour une distance de quelques miles. Paulette avançait pas à petit pas, tout en faisant des mouvements circulaires, des deux côtés, avec sa ‘poêle au bout d’une manche à balai’. Ses gestes avaient l’air d’une danse complexe. Si elle repérait une mine, elle laissait tomber un mouchoir là-dessus. On apercevait simplement la couleur blanche du mouchoir, comme une fleur de rose dans l’obscurité de la nuit. Puis elle avancerait en prenant un tout petit pas circonspect – et le mouchoir tomberait. Le dernier à suivre devait ramasser les mouchoirs et les faire passer à l’avant de la file.

Nous avons continué de cette façon pour sept miles ; c’était lent, angoissant, et nous avons avancé pas à pas ; des fois si près des tranchées allemandes que nous avons pu entendre parler les soldats ; et il nous a semblé impossible pour eux de ne pas nous voir passer. Au mois de juin le soleil se lève tôt, et pourtant nous n’avons pas pu se presser ou avancer plus rapidement. C’était comme l’avance d’un escargot, contre le soleil et la découverte. Finalement nous sommes sortis du champ et Paulette nous a fait signe d’avancer à la prochaine étape. Le censorat m’interdit de vous décrire cette dernière étape, mais je peux vous dire, qu’en nous tenant debout là où elle nous a laissé, et en regardant Paulette retourner dans le champ de mine mortellement dangereux, tout en faisant sa petit danse lente comme un ‘adagio’, avec sa manche à balai et le détecteur de mines, nous avons eu le profond regret de ne pas pouvoir l’emmener avec nous. Nous avons prié Dieu ; si sincèrement, nous avons prié Dieu de la permettre de sortir en toute sécurité de ce champ de mines. Déjà beaucoup trop de sang français héroïque avait été perdu pour assurer notre évasion. Déjà beaucoup trop.

Cinq jours plus tard, nous sommes arrivés en Angleterre.

Merci à madame Janet Pitman pour son aide à la traduction de l'article de Geoffrey Hewelecke paru en 1945 au Canada dans le magazine Maclean's sur le récit du Lieutenant Houston.