Lundi 4 décembre 1944

Yffiniac

"Château de Bellevue"

P-47D-28-RE - #44-19755

Codé LM-R

56th FG / 62nd FS

Yffiniac Côtes du Nord. Lundi 4 décembre 1944 18 heures 50. Crash d'un Chasseur Américain P-47D Thunderbolt immatriculé : 419 755 entre le Moulin Neuf et Bellevue. Le rapport de gendarmerie déposé aux Archives Départementales des Côtes d'Armor nous informe sur la chute de cet avion. Les deux gendarmes Maurice Yacinthe et Caro Joseph indiquent que cet après midi du 4 décembre 1944 ils sont en visite de communes, selon leurs termes, ils indiquent qu'en soirée ils se trouvent au bourg d'Yffiniac où ils apprennent qu'un avion vient juste de tomber prés du vieux château de Bellevue. Ils précisent, qu'immédiatement ils se rendent sur les lieux, guidés par la lueur de l'incendie qui ravage l'épave de cet avion. Ils précisent également que l'avion à rebondi après avoir heurté le sol puis a terminé sa course à 150 mètres du vieux château. L'hélice de trois pales (en réalité il y en avait 4) est restée figée dans le sol au premier contact.

Sur la carcasse non brûlée écrivent ils, nous avons pu voir écrit CURTISS 419755. Prévenues par téléphone, les autorités militaires Françaises et Américaines se sont rendues sur les lieux vers 20 heures. Le pilote qui avait sauté en parachute fut retrouvé par des témoins et récupéré par des hommes de la Military Police Américaine en poste à Saint Brieuc. Ils notent qu'ils ont du quitter les lieux en raison de l'heure tardive. Ils revinrent le lendemain matin pour recueillir des témoignages. Ils rencontrèrent Monsieur Jean TREGARO âgé de 50 ans qui expliqua que l'avion tous feux allumés venait de la direction du Val André et qu'il se dirigeait vers Trégueux puis ensuite est venu tout droit vers le Pont du Mi-Temps où je me trouvais et m'a survolé à basse altitude. Jusqu'à ce moment je ne l'avais pas perdu de vue. Son moteur tournait normalement. A partir de ce moment là, je ne pouvais plus le voir car il était trop bas. Il a rapidement piqué vers le sol et j'ai entendu le bruit d'une explosion.

 

Bellevue

 

Un incendie s'est déclaré aussitôt. Le temps était sombre. Il ne pleuvait pas. Le vent était faible. Monsieur Pierre Hinault Minotier âgé de 17 ans et résidant au moulin de la ville Biot en Yffiniac apporte également son témoignage aux gendarmes. Hier soir aux environs de 19 heures, j'ai entendu le bruit d'un avion qui se dirigeait vers Saint Brieuc. N'étant pas sorti de chez moi, je ne pus le voir. Un moment après je l'ai entendu à nouveau. Je suis sorti immédiatement et là, je l'ai vu qui s’écrasait au sol non loin de chez moi, s'ensuivit une explosion , puis un grand incendie. A la lueur de l'incendie j'ai pu apercevoir l'aviateur qui descendait en parachute un peu plus loin . Tout s'est passé très vite. Il est tombé à 150 mètres de chez nous. Accompagné de mes parents, nous nous sommes portés à son secours. A notre approche, il nous à causé et nous avons bien compris qu'il était américain. Il se détacha de son parachute et n'était que très légèrement blessé mais contusionné aux reins. Monsieur Guilhem Paul âgé de 31 ans habitait aussi au village du Moulin Neuf. Ayant assisté à la scène, il s'était également porté à son secours et c'est chez lui que fut emmené le pilote. Monsieur Guilhem avait rendu compte de l'accident, par téléphone à la Military Police en poste à Saint Brieuc. Une vingtaine de minutes après une voiture conduite par un soldat américain arriva chez lui. Un interprète accompagnait ce militaire. Au pilote nous avions apporté les premiers soins avant leur arrivée. Par la suite, une ambulance était venue chercher cet aviateur. Recherches ABSA 39 45 : Le pilote était le Major (commandant) Robert W. HALL, Officier supérieur au 56th Fighter Group, 62nd Squadron de la 8th United States Airforce basée sur l'aérodrome de la RAF Boxted dans le comté d'Essex près de Colchester sud-est de l'Angleterre.

 

 

Major Robert W. HALL

 

Le 56th Figther Group se composait de 3 Squadrons, le 61st, le 62nd, et le 63rd. Le Major Hall appartenait au 62nd. En ce lundi matin sur le base de Boxted, 49 pilotes ont été désignés pour les deux missions de la journée. Tôt le matin, au briefing les Officiers d’état major leur communiquent la cible à atteindre et la formation dans laquelle ils serviront. Le site à attaquer, sera le même pour tous. Il faudra que la mission de l’après midi finissent le travail engagé le matin. Ils apprennent aussi que cette mission sera une mission "Ramrod" classée 1370 A, c'est à dire qu'à l'aller comme au retour si possible, ils devront protéger une importante formation de bombardiers Boeing B-17 qui eux aussi devront chercher à détruire le Flugplatz de Neuburg am Donau en Bavière dans le sud de l'Allemagne, distant de leur base d'environ 1150 kilomètres. Pourquoi une telle frappe massive sur cette base de la Luftwaffe ? Il s’avère que les Allemands sentent bien que la guerre soit en passe d'être perdue. Ils doivent mettre au point rapidement une arme leur permettant de réagir et changer le cours des combats et de la guerre.

 

GO

Ils viennent d'être dotés récemment d'un avion sur puissant, innovant, le premier chasseur à réaction, le Messerschmitt Me-262A Schwalbe (hirondelle) dont une vingtaine d'exemplaires sont arrivés récemment à Neuburg où est installé le Kampfgeschwader 54 "Totenkopf" dans le III. Gruppe, sous le commandement du Gruppenkommandeure, l'Hptm Eduard Brogsitter et où les aviateurs allemands s’entraînent intensément, car le pilotage s’avère très différent des avions à hélice. A Neuburg/Donau, était situé le lieu de l'assemblage final du Me-262, comme le fuselage, l'empennage, les ailes et le capot moteur, le nez. Le cockpit à Obernzell/Donau. Voir les autres parties du Me-262 (1). Pour finir l'aérodrome de Neuburg/Donau était le centre de test pour les tests en vol du Me-262. (1)

Sur l'airfield de Boxted, la première mission décollera en fin de matinée, passera par Mulhouse en France puis se dirigera vers l'est, direction Neuburg où la cible sera atteinte à 13 heures 15 et qui s'avérera comme un succès selon les observateurs. Les chasseurs d'accompagnement et d’attaques en straffing, c'est à dire d'attaques en rase motte sont les redoutables P-47 Thunderbolt. Chasseur américain de 8 tonnes sous armement, mu par un moteur de 18 cylindres en double étoile de 2300 chevaux, fabriqué par la firme Républic Aviation Corporation dans 3 usines aux USA. Cet avion de combat est équipé de 8 mitrailleuses de calibre 50 (12,7 mm) pouvant également emporter deux bombes de 500 kilos, une sous chaque aile, et pouvant atteindre une vitesse de pointe de 690 km/h. Son autonomie en carburant est de 3050 kilomètres équipé d'un réservoir supplémentaire, éjectable lorsqu'il est vide. Surnommé "The Jug" (la cruche) par les pilotes du fait de son fuselage en forme de barrique, ce puissant chasseur est très maniable et supporte bien les attaques de projectiles. Il s’avère très résistant comparé à d'autres avions. En fin d'après midi la seconde mission de ce 4 décembre 1944 pour le 56th FG eut donc comme prévu le même objectif que celui du matin.

 

Le P-47D, du Major Hall placé dans le vol red, codé LM-R

 

49 pilotes furent à nouveau engagés. Ils seront en mission d'accompagnement des bombardiers et arrivés sur la cible devront mitrailler en rase motte l'aérodrome suite aux bombardement des bombardiers B-17. Le groupe du Major Hall était composé de 16 chasseurs, soit 4 groupes de 4, se reconnaissant en 4 couleurs, red, white, blue, yellow. Le Major était en troisième position du groupe red, placé à gauche de la formation. A son retour en Angleterre, après son accident, il demandera qu'on lui reconnaisse la destruction au sol d'un appareil Allemand. (La liste des revendications est assez impressionnantes pour les trois squadrons. 10 Me 262, 2 Heinkel 177, 1 Heinkel 111, 3 Fw 200, et 1 Fw 190). Les Heinkel et les Fw 200 Condor appartenaient au IV. (Erg.) (Ergänzungsstaffel, Escadrille d'entraînement ) Gruppe du Kampfgeschwader 40, avec sa 11ème Staffel depuis le 6 novembre. Le I Gruppe est arrivé début décembre à Neuburg pour préparer sa conversion sur le Me 262.

Que s'était il passé sur sa route de retour ? La météorologie fut exécrable au cours de l’après midi sur l’Allemagne et l'Est de la France, vents forts, bourrasques, pluie, nous indique le rapport d'archives. Il s'était égaré certes, mais cela n'explique pas sa longue dérive plein ouest de 1250 kilomètres. Même s'il était en panne d'appareils de bord, tout en faisant cette hypothèse, on ne peut pas comprendre pourquoi il n'a pas cherché à se poser sur un terrain d'aviation au hasard de sa route. Les opportunités ne manquaient pas et surtout que le territoire survolé était libéré depuis plusieurs mois. Il est difficile de comprendre ce qui s'est passé ce jour là. Un témoin rapporte que l'avion avant de s'écraser avait son moteur fonctionnant normalement, sans à coups, donc pas à cours de carburant. Vraisemblablement, perdu, ne trouvant pas d'issue, le pilote pris la décision de s'éjecter voyant la nuit qui commençait à tomber. Se croyait il au dessus de l'Angleterre ?

 

Ce Messerschmitt Me-262A Schwalbe a été construit à Schwäbisch Hall dans un "Waldwerk" appelé usine d'assemblage final dans les bois près d'un aérodrome de la luftwaffe à Schwäbisch Hall Hessental.

Photo Footnote

 

Un rapport de police destiné au Préfet des Côtes du Nord à Saint Brieuc en date du 5 décembre 1944, indique que le pilote à signalé que lorsqu'il survolait les îles de Jersey et de Guernesey il fut touché par quelques projectiles et que cela le mis en difficulté. Les îles Anglo Normandes ne connurent leur Libération que le 9 mai 1945. Il dû subir un tir de la Flak (dca) allemande. Nous n'avons pas retrouvé de rapport rédigé par lui à son retour, juste sa revendication. Ce cas ne fut pas le seul dans le département en cette fin de guerre. Le 9 mars 1945 le Lieutenant Alfred Hyde pilote de la Royal Air Force, à bord de son Spitfire, en mission sur le canal de Dortmund en Allemagne, après un périple de 1300 kilomètres vint s'écraser à Saint Lormel dans le Côtes du Nord à l'époque. En 2011 son épouse nous fit savoir qu'il lui avait dit avoir eut un défaut d'arrivée d’oxygène et aussi qu'il se retrouva en panne de carburant juste avant son crash. Il est difficile de comprendre aussi dans ce cas pourquoi il ne chercha pas non plus à se poser bien avant, ni pourquoi il se retrouva lui aussi en Bretagne aussi loin de sa base de Maldegem en Belgique.

(1)Source : http://www.stormbirds.com/werknummer/centers.htm

 

Quelques plaques retrouvées après la guerre sur le site du crash du P-47

 

Biographie ABSA 39-45 - Avril 2016

Réalisation du profil en couleur : Jean Marie GUILLOU

Jean Michel MARTIN Daniel DAHIOT, Yves GENACHTE, Jimmy TUAL (AFMD 22 - Amis de la fondation pour la mémoire de la déportation en Côtes d'Armor).

Remerciements à messieurs Francis GUERNION, Raymond DUVAL, Jean pierre RENAULT et Georges CAMARD pour leurs renseignements et témoignages ainsi que leur accueil.

Remerciements à Nigel Julian, Webmaster 56th fFghter Group - Dec 4 th 44 Mission Report - Photo du Major Robert Hall

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