(1) SCHEIDHAUER Bernard

 

 

 

Bernard-Martial-William Scheidhauer est né le 28 août 1921, à Landau (Palatinat rhénan, en Allemagne). Il est le plus jeune de sept enfants.

Son père, le colonel Michel Scheidhauer, est alors à la tête du 1er Bataillon du Régiment d'Infanterie du Maroc. Il participe à l'occupation de l'Allemagne après la guerre de 1914-1918.

Né à Fontenay-Le-Comte en 1877, il sort de Saint-Cyr en 1899. Affecté au 2ème R.I de Marine à Brest, nommé lieutenant en octobre 1900, il participe à la campagne de Chine jusqu'en 1902. A la déclaration de guerre en 1914, il part au Front comme capitaine au 2ème RIC. Blessé et fait prisonnier par les Allemands, il est rapatrié sanitaire par la Suisse. Il est de retour au 2ème RIC en 1918. Il est décoré de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre avec palme. En 1920, il participe à la bataille du Riff au Maroc et bientôt remonte vers l'Allemagne où il participe à l'occupation du pays. Il revient ensuite à Brest, où il exerce le commandement du 2ème RIC. Il prend sa retraite en 1937.

A cette époque, le jeune Bernard Scheidhauer vient régulièrement d'un coup de vélo, admirer les petits avions qui tournoient au-dessus du terrain de Lanruz, qui deviendra plus tard l'aérodrome de Brest-Guipavas. Ces visites successives vont faire naître une vocation; Bernard décide de tourner son avenir vers une carrière aéronautique. Les Sections d'Aviation Populaire commencent alors à fonctionner et vont permettre à de nombreux jeunes de connaître les joies d'évoluer dans les airs. Bernard est élève au Lycée de Brest, et se destine à l'Ecole de l'Air. Il fera tout pour parvenir à atteindre ce but.

Hélas, septembre 1939 amène la guerre qui va totalement contrarier les projets d'avenir de Bernard. Son père devient chef de la défense passive du secteur nord-est de la place de Brest. Il est fait prisonnier, mais libéré peu après en tant qu'ancien combattant. A peine libre, il va s'occuper d'un réseau de Résistance prenant en charge les aviateurs alliés abattus en France. A partir de mars 1944, il doit se mettre à l'abri de l'ennemi. Et en septembre, il apprend la mort de son épouse, ensevelie dans l'abri Sadi-Carnot à Brest. Le colonel Michel Scheidhauer va lui-même décéder en novembre 1951.

Au moment de l'armistice, Bernard prépare son examen d'entrée à l'Ecole de l'Air. Dès l'arrivée des Allemands en Bretagne, il s'empresse de trouver le moyen de rejoindre l'Angleterre qui continue la lutte. Sur les conseils de son père, il prend passage à bord du premier navire qu'il trouve, un chalutier qui hélas, prend la direction du sud et s'en va aborder à Bayonne. D'autres bateaux sont en partance et embarquent à ras bord, dans le port de Saint-Jean-de-Luz. Bernard fait des pieds et des mains pour monter à bord, en même temps qu'un groupe de Polonais qui doit aller en Angleterre. Il échoue dans son projet et quelque temps plus tard, les poches vides, il remonte sur Brest, très déçu. Mais rester à Brest lui semble impossible; il faut trouver un autre bateau. Son père, d'ailleurs, lui donne toute autorisation pour mettre ce projet à exécution. L'entreprise est dangereuse car l'ennemi à l'oeil partout et ceux qui sont pris risquent tout simplement la mort.

Enfin, dans la soirée du 20 octobre 1940, Bernard Scheidhauer, accompagné de cinq camarades (1): les frères Guy et Jean Vourc'h, Charles de La Patellière, Robert Alaterre, et Joseph Ferchaud, réussit à embarquer à Douarnenez, à bord d'une pinasse toute neuve de douze mètres de long, pontée, avec deux voiles et un moteur, la " Petite Anna " (Dz 3388). Ce bateau appartenait à l'armateur Marcel Laurent. Mais la traversée allait manquer de devenir une tragédie...

Le bateau avait été livré avec, dans son réservoir, cent quatre-vingt litres d'essence, ce qui constituait une quantité juste suffisante pour atteindre la côte anglaise. Par sécurité, il eût fallu disposer d'un peu plus de carburant car on devait compter avec les impondérables. Toutefois, si on avait pu disposer à bord d'un marin expérimenté, capable d'utiliser la voilure à bon escient, la quantité d'essence eût sans doute suffi. Mais, dans l'impatience de partir, les jeunes gens firent abstraction de ces considérations et passèrent outre. De plus, Bernard Scheidhauer avait fait des essais de moteur mais, contrairement à ce qu'il déclara à ses camarades, les essais durèrent plusieurs heures et non un quart d'heure. Ce fait allait avoir, plus tard, des conséquences dramatiques.

Le compas avait été réglé par Bernard Chancerelle, pêcheur confirmé. On disposait de cartes marines; Marcel Laurent leur avait expliqué la route: sortir de la Baie de Douarnenez, puis se diriger vers le Nord, jusqu'au large d'Ouessant, puis faire route au nord-est jusqu'aux côtes de Cornouailles. On leur conseilla de passer très au large de l'île d'Ouessant pour échapper aux patrouilleurs allemands et n'être ni vu ni entendu. En effet, à cette période, la navigation nocturne était interdite par l'occupant.

Après avoir embarqué, sans attirer l'attention, quelques vivres (pain, boîtes de sardines, sept bouteilles de vin, trois tablettes de chocolat, un litre de rhum) et de l'eau pour les vingt-quatre heures de voyage prévues, les jeunes gens écoutèrent une dernière fois les recommandations de Marcel Laurent qui ne leur cacha pas qu'il y avait: " quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que ce bateau soit leur cercueil ". Le brave homme leur annonça qu'un de ses cousins, pêcheur de l'île de Sein, les guiderait avec son bateau jusqu'à la sortie de la baie.

Puis ce fut l'attente du lendemain dans une cale qui puait l'essence, l'huile et le poisson. Ils furent réveillés par le cri des mouettes et des goélands. La pinasse devait quitter Douarnenez vers trois heures de l'après-midi et, en attendant, les hommes jouèrent aux cartes ou aux échecs. Vers onze heures et demie, le pêcheur de l'île de Sein monta à bord et proposa de partir sans plus attendre. Les deux bateaux sortirent du port ensemble. Bientôt, l'île Tristan défilait devant eux et la " Petite Anna " gagnait le large. Vers six heures du soir, on se sépara et les valeureux Sénans leur souhaitèrent bonne chance en agitant leurs casquettes. Livrés désormais à eux-mêmes, ils ressentirent une " lourde impression d'isolement et de désarroi ". Guy Vourc'h sombra rapidement dans une sorte de prostration due à un mal de mer intense qui allait durer...

Vers six heures du matin, le moteur s'arrêta, en panne d'essence. D'après leurs prévisions, ils en avaient assez pour naviguer jusqu'à dix heures... Ils avaient espéré arriver en Angleterre, à Falmouth ou Penzance, vers neuf heures du matin; à six heures ils auraient donc dû apercevoir les côtes. Or, au jour levé, il n'y avait rien en vue, rien que la mer calme, sur laquelle se levait un beau soleil. Pas un bateau pour leur venir en aide, et pas un souffle de vent; impossible d'utiliser les voiles... Vers dix heures du soir, un vent violent se leva. Il venait du nord-est. Or, c'était justement la direction qu'ils avaient à prendre. Ils étaient durement secoués et entraînés vers l'ouest, vers l'Atlantique... La mer était très grosse. Désormais, ils étaient comme un bouchon sur les vagues qui les prenaient de travers...

Le lendemain matin, 23 octobre, le ciel était bouché et la mer toujours très grosse. Des vagues gigantesques entouraient la " Petite Anna " et souvent se brisaient sur elle. Les quatre jours qui suivirent furent pareils. Le vent restait nord-est..., et il faisait froid. Mouillés, mal vêtus, tous étaient transis. Les nuits surtout étaient sinistres. Ils allumaient peu la lanterne pour économiser le pétrole et, dans l'obscurité la plus complète, il fallait attendre le lent écoulement des heures tandis que les vagues ébranlaient la coque, que les paquets de mer tombaient sur le pont. Dans la cale, bien close, ils entendaient les coups sourds et étaient secoués en tous sens. Heureusement, la " Petite Anna " s'avérait remarquablement robuste.

Le 25 octobre, ils furent survolés par trois avions allemands, volant très bas vers le nord-ouest... Le lendemain, deux autres avions repassèrent au-dessus d'eux, toujours à très basse altitude, mais sans les mitrailler. Robert Alaterre rapporta que Jean Vourc'h grimpa au mât pour y agiter une chemise blanche en signe de détresse. Il valait encore mieux être fait prisonniers que de périr lamentablement au milieu de l'océan: " ce qui nous angoissait le plus, c'était la question de l'eau; par vent de nord-est il est rare qu'il pleuve ".

Effectivement, ils ne tardèrent pas à subir les terribles souffrances de la soif. Ils burent d'abord l'huile des boites de sardines, léchèrent les mêmes boites. L'un d'eux eut l'idée " géniale " de composer une soupe à l'eau de mer qui s'avéra " immangeable "!

Le 27 au matin, ils eurent l'impression que la mer s'était calmée. Le vent soufflait moins fort et surtout, il avait changé de direction et venait maintenant du sud-est. Ce n'était pas encore la bonne direction, celle qui aurait permis d'être poussé vers les côtes de Cornouailles, mais du moins pouvaient-ils utiliser la voile et sentir le navire vibrer sous la toile.

Dans la nuit du 28 au 29, vers trois heures du matin, le vent se leva à nouveau, dans la bonne direction cette fois, c'est-à-dire vers le nord-est. Epuisés, déshydratés, les passagers étaient victimes d'hallucinations, de rêves les plus insensés avec l'eau comme obsession.

Le 30 au lever du jour, le temps n'avait pas changé. Toujours la mer démontée, les mêmes vagues massives, vertigineuses et effrayantes, les mêmes chutes vers l'abîme, les mêmes rebondissements sur les crêtes. Le ciel était gris et bas.

Au cours de la nuit suivante, puis le lendemain matin, ils aperçurent un grand phare à bandes rouges et blanches, celui de Sands, un groupe d'îlots et d'écueils situé à la pointe de Pembrokeshire. Un vapeur passa à environ cinq cents mètres d'eux sans les voir.

Vers dix heures, la pluie tomba, une pluie torrentielle. A plat ventre, sur le pont, ils lappèrent l'eau qui y ruisselait. Une casserole à la main, Guy Vourc'h surveillait l'eau qui coulait le long de la voile. Il en remplissait les bouteilles vides et les passait ensuite à ceux qui s'abritaient sous le pont.

Vers onze heures, ils aperçurent un énorme rocher solitaire et désolé, sans trace de vie, qu'ils doublèrent. Ils faillirent sombrer alors, car la " Petite Anna " se trouva au milieu d'écueils sur lesquels une mer monstrueuse écumait; d'énormes remous secouant la pinasse, menaçaient à tous moments de la faire chavirer. Les passagers crurent leur fin arrivée, et Robert Alaterre raconta par la suite que Guy Vourc'h se mit à réciter la prière des agonisants. C'est précisément au moment où ils avaient perdu tout espoir que, du bouillonnement de la mer en furie, surgit un cargo britannique, le " S.S. Cairngorn ", intrigué par la présence, en ces lieux inhospitaliers, d'un si petit navire semblant désemparé. L'accostage se réalisa dans des conditions difficiles. Le capitaine et l'équipage britannique leur réservèrent un accueil chaleureux et s'évertuèrent d'apporter le réconfort que nécessitait leur état; deux étaient scorbutiques, un autre commençait à perdre la raison...

A la tombée de la nuit du 31 octobre, ils entrèrent dans le port de Milford Haven, terme de leur longue randonnée mais aussi d'un martyre de onze jours!

Quand ils mirent le pied sur le quai, les six hommes décharnés, hirsutes, barbus, " continuaient à éprouver une sensation de roulis; ils leur semblait voir les maisons vaciller ". Il est vrai que par un malheureux hasard, ils avaient dû subir l'un des plus forts " coups de tabac " des années d'hostilités. A Londres, Honoré d'Estienne d'Orves (chef du 2ème Bureau de l'état-major des Forces navales françaises libres), les accueillit très fraternellement, s'occupa de leur hébergement et subvint avec gentillesse à leurs besoins immédiats.

Le 5 novembre 1940, à peine arrivé en Angleterre, Bernard Scheidhauer souscrit un engagement comme candidat élève pilote dans les FAFL (matricule n°30.649) pour la durée de la guerre plus trois mois. Mais comme sa santé n'est pas des plus florissante, il est affecté comme servant d'une pièce de DCA, sur le navire " Courbet " ancré à Portsmouth. Avec véhémence, il montre sa déception et, devant son insistance, est muté au camp de Camberley.

Il est ensuite admis comme élève pilote et suit le cycle classique d'entraînement des pilotes de la RAF: 6 Elementary Flying Training School de Sywell en août 1941, 5 Service Flying Training School de Ternill en octobre. Caporal depuis le 12 juillet 1941, il est nommé caporal-chef le 1er novembre suivant.

Breveté pilote en avril 1942, il passe par la 52 Operational Training Unit d'Aston Down avant de rejoindre, le 21 juin, en compagnie de son camarade Henri de Bordas, le 242 Squadron à Drem, en Ecosse. Au vu de ses brillants résultats, Bernard est promu aspirant.

Il participe à la fameuse opération " Jubilee " sur Dieppe, le 19 août 1942, qui se soldera malheureusement par la mort de cinq pilotes français.

Début septembre 1942, lorsque le 242 Sq part pour Malte, Bernard est muté, toujours avec Henri de Bordas, au 131 Squadron, commandé par le Squadron Leader Wickham, à Westhampnett.

Le 18 novembre 1942, à 14h15, les deux Français partent pour une nouvelle mission dite " Rhubarb ", c'est-à-dire du mitraillage sur la voie ferrée de Bayeux à Cherbourg, en compagnie des Flying Officer Jackson et Sergeant Appleton-Bach. La mission terminée, ils doivent prendre le cap du retour en virant autour du hangar à dirigeables au sud de Cherbourg. Mais, à partir de cet instant, l'aspirant de Bordas s'aperçoit que son équipier a quitté la formation. Ses appels à la radio restent sans réponse et il doit rentrer seul à son terrain. Dès son retour, l'aspirant de Bordas rédige son compte rendu:

" Cette mission fut accomplie avec succès. Nous avons endommagé quatre locomotives, une de celles-ci ayant explosé. Pendant toute l'opération nous avons subi une DCA violente. Ayant épuisé mes munitions, je décidai de regagner la base. L'aspirant Scheidhauer se trouvait alors à 200 mètres environ sur ma gauche. Je le prévins par radio du changement de direction et il me confirma avoir reçu mon message. Ayant pris le nouveau cap et ne le voyant plus, je l'appelai à nouveau. Par suite de forts parasites, je ne reçus pas de réponse compréhensible. Je revins alors au point où nous avions effectué le virage. Je gagnai un peu de hauteur pour rendre les transmissions meilleures et lui permettre de mieux me voir. Mes appels restèrent sans réponse. J'effectuai plusieurs larges cercles dans le but de le retrouver. Ne voyant aucune trace de lui, je revins à ma base. J'atterris à 15h30. Il est possible que pendant la dernière attaque effectuée sur un train de marchandise dans une gare de triage, l'aspirant Scheidhauer ait été touché par la DCA extrêmement violente à cet endroit ".

En fait, on saura plus tard que le Spitfire de Bernard Scheidhauer, vraisemblablement touché lors de l'attaque en gare de Carentan, n'a pu retraverser la Manche. Il a été obligé de se poser en panne d'essence sur l'île de Jersey, occupée par les Allemands depuis le 30 juillet 1940.

Fait prisonnier, Bernard a des difficultés à expliquer la consonnance germanique de son nom et son lieu de naissance. D'abord interné dans un camp à Jersey, il réussit à faire parvenir un message à sa famille, grâce à un insulaire. Il est ensuite transféré au Stalag Luft III, à Sagan, en Silésie (Pologne), camp où sont regroupés des aviateurs alliés: Anglais, Canadiens, Australiens, Tchèques, Polonais...

Là, Bernard se lie d'amitié avec " Big X ", le Squadron Leader Roger Bushell, ancien commandant du 92 Squadron, abattu au-dessus de Dunkerque le 23 mai 1940. Bushell travaille avec acharnement à une évasion massive du camp, par un tunnel souterrain. La fuite de 500 prisonniers était initialement prévue, mais on se limitera ensuite à un contingent de 100 hommes. L'origine de cette opération remonte à la Noël 1942. Le soir de Christmas, à la fin du repas, les bruits de table s'arrêtent. Bushell réclame la parole. Il annonce à l'assemblée attentive, la décision de creuser un tunnel devant relier les baraquements au petit bois voisin. Quarante mètres environ séparent les deux points extrêmes. Et dès le lendemain de Noël, on commence à creuser un puits vertical sous la tôle d'un poêle situé dans le Block 104, chambre 23. L'entrée de ce tunnel, baptisé " Harry ", est recouverte par une dalle mobile en béton. Mais ce travail demande la mise en route de tout un réseau de fabrications. D'autre part, il faut éliminer les curieux et les fainéants. Une organisation de sécurité est mise en place, chargée de surveiller les allées et venues des Allemands. L'éclairage du tunnel est à prévoir. Il faut aussi trouver le moyen de se débarrasser de la terre extraite du tunnel. C'est une véritable entreprise souterraine, de travaux manuels, qui est ainsi montée par des hommes ignorant tout de ce genre de travail. Il faut également confectionner des vêtements civils et des faux papiers en bonne et due forme. Le tunnel, creusé à neuf mètres de profondeur, progresse à bonne allure et pour la fin de l'année 1943, il fait déjà près de cent mètres de long. On approche de la lisière du bois. Malheureusement, la neige va faire subir un certain ralenti. Pour la fin janvier 1944, on arrive aux premiers barbelés. A la fin février, on parvient aux limites du camp. Encore une même longueur et on atteindra le bois. Enfin, à la mi-mars, " Harry " est terminé. On décide d'attendre un jour moins froid et une nuit plus favorable pour l'évasion. Calcul fait, 220 hommes pourront partir. Bernard Scheidhauer fait partie des cinq premiers.

Le soir du vendredi 24 mars 1944, verra le départ des valeureux évadés. On s'aperçoit alors d'une erreur dans la sortie du tunnel. Elle débouche à quatre mètres de la lisière du bois et à quinze mètres du mirador. On décide de partir quand même. Malheureusement, les difficultés rencontrées sont plus importantes que prévu, et pour 4 heures du matin, 76 prisonniers seulement ont retrouvé la liberté. Bernard est accompagné de Bushell et du Tchèque Valenta. N'ayant pas réussi à prendre, comme prévu, le train pour Leipzig, les trois hommes décident de partir à pied en direction de la frontière tchèque.

A 5 heures du matin, une fois l'évasion découverte et l'alerte donnée, c'est le branle-bas général. La chasse à l'homme s'organise tout aux alentours. La Gestapo arrive et s'empresse de bloquer les frontières. Les évadés se font prendre l'un après l'autre. Sur 76 qui avaient réussi à s'échapper du camp de Sagan, 74 seront repris. Deux aviateurs seulement parviendront à rejoindre l'Angleterre. Bernard et ses deux compagnons sont repris à Hirschberg, tout près de la frontière tchèque.

Tous les évadés repris sont rassemblés dans une prison de la Gestapo, à Görlitz, à cinquante kilomètres de Sagan. Un jour, on remarque une inscription " S " sur la porte de la prison. Tous supposent qu'il s'agit de " S " pour Sagan. Hélas, il s'agit de " S " pour Schiessen: " fusiller ". D'ailleurs, ne leur avait-on pas dit que tout évadé repris habillé en civil, serait passé par les armes! Bien sûr que la Convention de Genève reconnaissait que l'évasion était un droit pour tout prisonnier, mais la Gestapo n'en tenait aucun compte.

Le lendemain, 30 mars 1944, les soldats allemands font monter dans des camions 50 prisonniers, encadrés par des S.S. Les camions prennent la direction de la campagne où bientôt ils s'arrêtent. Et c'est le carnage... Les aviateurs sont abattus à la mitrailleuse. Bernard Scheidhauer est là, au milieu de ses camarades d'évasion. Leur liberté n'aura pas duré longtemps...

Pour justifier cette tuerie, les Allemands prétendront que les prisonniers tentèrent de s'enfuir. On saura plus tard que certains grands chefs allemands s'étaient mis d'accord pour fusiller 50 des fugitifs. L'ordre signé par Himmler en personne, fut adressé à la Gestapo de Görlitz. Au cours du procès de Nuremberg, le maréchal Goering devait déclarer qu'il " considérait cet incident comme le plus grave de toute la guerre " et le général Jodl le qualifia de " pur assassinat ".

Au moment des faits, le célèbre " As " de la Luftwaffe, Walter Nowotny, adressa à Hitler lui-même une violente protestation. Mais le crime avait été commis...

Ce tragique épisode de la Seconde Guerre mondiale devait être l'objet d'un livre, puis porté à l'écran sous le nom de: " La Grande Evasion ". Tout le monde connaît ce fameux film qui a été présenté plusieurs fois au cinéma et à la télévision. Ce que beaucoup ignorent toutefois, c'est qu'un jeune pilote brestois de 22 ans faisait partie de ce groupe d'hommes qui ont trouvé la mort pour avoir trop voulu recouvrer la Liberté...

Les corps de Bernard Scheidhauer et de ses compagnons d'inforturne furent transportés au four crématoire de Sarrebruck où ils furent incinérés le 1er avril 1944. Les urnes contenant les cendres des aviateurs alliés furent, ensuite, transférées au Stalag Luft III à Sagan, où ils furent officiellement déclarés par les autorités allemandes, comme " ayant été fusillés alors qu'ils essayaient de s'évader ".

Les cendres de Bernard Scheidhauer reposent pour l'éternité au " Poznan Old Garnison Cemetery ", le cimetière britannique de Poznan (Pologne).

Les aviateurs rescapés de " La Grande Evasion " feront élever un monument à la mémoire de leurs camarades martyrs si tragiquement disparus. Et gravé dans la pierre, parmi les noms des aviateurs anglais, canadiens, australiens, néo-zélandais, polonais, tchèques, grecs, etc... on peut lire:

 

" Lieutenant Bernard Scheidhauer-France "

 

Bernard Scheidhauer avait été cité à l'ordre de l'Armée de l'Air, fin novembre 1942, pour le motif suivant:

" Jeune aspirant, plein d'ardeur, dont le courage et le mépris absolu du danger, lui avaient mérité l'admirative estime de ses camarades d'escadrille britannique. A accompli vingt-cinq missions offensives et trente huit missions défensives. S'est offert volontairement pour exécuter une mission particulièrement périlleuse, au cours de laquelle il a disparu, après s'être signalé, une fois de plus, par ses attaques pleines de fougue et de cran, sur des voies de communications importantes.

Cette citation comporte l'attribution de la Croix de Guerre avec Palme de Bronze ".

 

Le 4 juillet 1947, le colonel Henri de Rancourt, Attaché de l'Air près de l'ambassade de France à Londres, envoie ce courrier au Ministre de l'Air:

 

" Rapport sur l'exécution par la Gestapo du lieutenant B-W-M Scheidhauer, matricule FAFL 30.649 ".

" J'ai l'honneur de vous adresser une lettre que j'ai reçue de l'Air Ministry, relatant les circonstances dans lesquelles le lieutenant Scheidhauer fut exécuté le 30 mars 1944, en compagnie du Squadron-Leader R-J-Bushell de la Royal Air Force, par la Gestapo ".

" Je vous joins ci-inclus l'extrait d'un rapport qui m'est parvenu du " Département du Juge Avocat Général " au sujet du jugement des officiers allemands responsables de l'exécution du lieutenant Scheidhauer après son évasion du camp de Sagan, Stalag Luft III, dans la nuit du 24 mars 1944. Ces renseignements peuvent maintenant être communiqués à la famille du défunt ".

Suit un extrait du reste du dossier:

" Le Squadron-Leader Bushell et le lieutenant Scheidhauer furent parmi les premiers à s'échapper par le tunnel. Ils voyagèrent par voie ferrée se faisant passer pour des ouvriers français et se firent arrêter dans la gare de Sarrebruck, probablement le 27 mars 1944. Ils furent interrogés sans apparemment être maltraités puis logés à la prison de Lirchensflur sous la surveillance de la Kriminalpolizei (Kripo). Le 30 mars 1944, ils furent transférés à la Gestapo et il semble qu'on les prévint de leur départ pour Berlin. Ce transfert s'effectua par automobile d'abord, de la prison à un autre bâtiment, où ils ne restèrent que très peu de temps, sans toutefois descendre de la voiture. Deux membres de la Gestapo prirent place dans l'automobile, l'officier de la Kripo ayant quitté la voiture. L'un des deux membres de la Gestapo, un lieutenant-colonel, était le chef de la Gestapo de Sarrebruck, et le second officier subalterne, un sous-lieutenant appartenant au même quartier général. Ils étaient en uniforme et la voiture était conduite par un membre de la Gestapo en civil. L'identité de ces trois individus nous est connue et le chauffeur est actuellement entre nos mains. La voiture fut conduite à quelque distance dans la campagne et fut arrêtée au bord de la route. Le Squadron Leader Bushell et le lieutenant Scheidhauer furent autorisés à descendre de voiture, pour satisfaire des besoins naturels. Ils s'éloignèrent de quelques pas et furent, à ce moment, fusillés par les deux officiers de la Gestapo sans avertissement alors qu'ils avaient le dos tourné. Deux coups de feu seulement furent tirés par les deux officiers qui s'étaient servis de leurs revolvers militaires. La mort fut, sans aucun doute instantanée dans les deux cas ".

 

Le Journal Officiel du 24 octobre 1947 nous apprend la nomination dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur à titre posthume: Chevalier: Scheidhauer Bernard-Martial-William, Sous-Lieutenant des Forces Aériennes Françaises Libres.

Il sera également décoré à titre posthume de la Médaille de la Résistance.

 

En mai 1949, un document du N° 4 Missing Research & Inquiry Unit RAF donnait les noms des dix-sept militaires allemands ayant participé à l'assassinat des aviateurs alliés évadés; parmi eux, les deux officiers de la Gestapo directement impliqués dans le meurtre de Bernard Scheidhauer: lieutenant-colonel E.S., condamné à la peine de mort, et sous-lieutenant W.B., condamné à la prison à vie.

 

Le 28 décembre 1949, par décision du Conseil Municipal, la ville de Brest donne le nom de " Bernard Scheidhauer " à l'une de ses rues.

 

(1): Guy et Jean Vourc'h étaient les deux fils ainés du Docteur Vourc'h, médecin à Plomodiern (Finistère). D'une famille très connue et estimée, originaire de Guipavas, il fut décoré à la suite de ses états de service pendant la guerre de 14-18. Il s'occupera avec l'aide de son épouse et de ses filles, d'un réseau de Résistance chargé d'organiser l'évasion d'aviateurs alliés, par la Bretagne ou les Pyrénées. Recherché par la Gestapo, il embarquera à Marseille à bord du " Gouverneur Général Lépine " à destination de la Tunisie, puis gagnera Alger. Après la guerre de 39-45, il deviendra membre du Conseil de la République (Sénateur).

Guy, l'ainé, était de retour de l'Ecole des Elèves Officiers de Saint-Cyr. Il prospectera avec volonté et patience tous les ports du Finistère, de Morlaix à Concarneau, afin de trouver un moyen de rejoindre l'Angleterre. Arrivé sur le sol britannique, il s'engagera dans les FFL. Au sein du célèbre commando Kieffer, il débarquera le 6 juin 1944, sur la plage de Ouistreham, où il sera blessé. Il reprendra le combat en août 1944, et terminera la guerre en Hollande. Il deviendra par la suite, agrégé de médecine, anesthésiste des hôpitaux et professeur à la faculté de Paris.

Jean, étudiant en médecine, s'était engagé volontaire en décembre 1939, au 19ème Régiment d'Infanterie. Blessé dans la Marne le 12 juin 1940, il sortait à peine de convalescence. Dès son arrivée en Angleterre, il ralliera les FFL et sera affecté au Bataillon de Chasseurs de Camberley, puis au Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad. Il participera aux différentes campagnes de la Colonne Leclerc. Avec la 2ème DB, il prendra part également à la campagne de Normandie. Après la prise d'Argentan, sur la route de Paris, le 23 août 1944, une balle l'atteindra en pleine poitrine à Voisins-le-Bretonneux. Refusant d'être évacué, il sera blessé une seconde fois par des éclats d'obus. Il succombera au bout de cinq jours d'agonie à l'hôpital du Mans. Inhumé à Plomodiern, il sera fait Compagnon de la Libération à titre posthume.

Charles de La Patellière était professeur d'histoire et géographie au Collège Saint-François-Xavier de Vannes, et camarade de Guy Vourc'h à Saint-Cyr. Arrivé en Angleterre, il s'engagera dans les FFL et rejoindra les Chasseurs de Camberley.

Robert Alaterre était, avant guerre, archiviste à l'ambassade de France à Londres. Il travaillera pour les services secrets britanniques. Le 20 mars 1941, il sera à la tête de la mission " Allah ", chargé d'installer en Bretagne un réseau de renseignements militaires. Il sera à l'origine de la création du réseau " Johny ", dont il deviendra naturellement le chef. Il effectuera, tout au long de la guerre, de nombreuses missions très périlleuses, sur le sol français.

Joseph Ferchaud était étudiant en médecine avant guerre, puis instituteur près de Lorient. Lui aussi, s'engagera dans les FFL et rejoindra les Chasseurs de Camberley. Il sera ensuite affecté en Nouvelle-Calédonie, puis se portera volontaire, en janvier 1943, pour devenir parachutiste. Aprés un entraînement en Ecosse dans le 3ème Bataillon du capitaine Château-Jobert (alias Conan), il sautera en août 1944, en France, dans le Lyonnais, puis en Hollande, en avril 1945.

 

 

Chevalier Ordre National de la Légion d'Honneur à titre posthume

Compagnon de la Libération à titre posthume

Médaille de la Résistance.

Avec l'aimable autorisation de publication pour l'ABSA 39-45 - Biographie copyright Yves Donjon

Médailles commémoratives Wikipédia

Photo Cap sans retour de Germaine L'Herbier-Montagnon

(1)J'ai considéré comme étant Bretons les garçons nés dans un département breton ou ayant passés leur enfance en Bretagne (ex : Scheidauer), ainsi que ceux nés hors Bretagne mais étant d'origine bretonne (ex : Joubert des Ouches ou Le Bras). Par ailleurs, j'ai inclus les garçons nés en Loire-Atlantique (Loire-Inférieure jusqu'en 1957) puisque ce département a été rattaché à la région Bretagne jusqu'en 1941.