Terrien Jean

 

 

Jean Terrien est né le 21 juin 1914, à Nantes (Loire-Inférieure).

Il fait ses études secondaires au Lycée Clémenceau de Nantes, puis il s'oriente vers la médecine. Après quelques années de Faculté, attiré par l'aviation et sentant la guerre proche, il s'engage dans l'armée de l'Air. De l'école d'Istres, il sort breveté pilote et major de sa promotion. Son classement lui permet d'opter pour la chasse. Ses goûts personnels et son attirance pour la vie d'équipage l'incitent à choisir la reconnaissance. Il rejoint le Centre d'Entraînement de Tours.

Début mai 1940, il est muté dans un groupe équipé de Potez 63-11.

Entre le 10 mai et l'armistice, il effectue neuf missions de reconnaissance pendant lesquelles il s'enfonce loin à l'intérieur des lignes. Au cours de sa dernière mission, le 16 juin, son avion est gravement endommagé par la Flak allemande. Il réussit cependant à regagner sa base et à atterrir dans des conditions très difficiles.

Sa conduite pendant la campagne de France lui vaut d'être cité à l'ordre de la Division aérienne: " Sous-officier pilote possédant les plus grandes qualités de courage et de volonté tranquille, faisant preuve d'une compréhension magnifique du devoir. Le 16 juin 1940, son appareil gravement endommagé par la DCA allemande, a néanmoins poursuivi la mission de reconnaissance à basse altitude qui lui était prescrite ".

Quelques jours plus tard, bien que les circonstances ne lui aient pas permis la remise en état de son appareil, Jean Terrien réussit à passer en Afrique du Nord au moment du repli de son escadrille.

Le 8 novembre 1942, alors qu'il suit les cours d'officier d'active à Marrakech (Maroc), les Anglais et les Américains débarquent en Afrique du Nord.

Promu sous-lieutenant, il se porte immédiatement volontaire pour les groupes lourds. Après avoir suivi le cycle d'instruction des écoles de la RAF, il rejoint la base d'Elvington à proximité de York, où stationnent les groupes lourds français " Guyenne " et " Tunisie " (346 et 347 Squadron de la RAF), équipés de Handley Page Halifax.

Le 2 août 1944, il effectue sa première mission contre un site de bombes volantes près de Dieppe. Son tour d'opérations commence.

Jean Terrien tient à ce que son équipage soit aussi soudé et homogène que possible. Entre les missions, chaque fois qu'il le peut, il réunit son équipage. Ensemble, ils répètent inlassablement, les gestes à accomplir dans les situations critiques, atterrissage forcé, amerrissage, évacuation en parachute, etc... Il leur inculque l'expérience qu'il a acquise en mai et juin 1940. Il sait que la survie de l'équipage dépend de la rapidité avec laquelle les manoeuvres prévues sont exécutées. Ainsi, leur dit-il: " Quand je vous dirai: " Sautez, Sautez ", ne cherchez pas à comprendre. Exécutez l'ordre immédiatement. Comme je dois sauter le dernier, votre rapidité sera ma seule chance de salut ". Il ne laisse rien au hasard. En tout, il se comporte en véritable professionnel.

Le 3 février 1945, il effectue sa 25ème mission contre le complexe industriel d'Essen. A son retour, les britanniques l'informent que, conformément aux règlements, il a terminé son tour d'opérations et qu'il peut rentrer dans ses foyers. En effet, cette réglementation stipule que le nombre des missions du premier tour d'opérations est fixé à 35 et celui du deuxième à 25. Comme les missions qu'il a faites en mai et juin 1940 comptent pour un tour d'opérations, il est donc libre de partir. Mais Jean Terrien ne le voit pas ainsi. Il n'entend confier à personne d'autre la responsabilité de son équipage. Il a commencé avec " ses " hommes, il finira avec eux. Il décide de rester et il reste.

Le 3 mars 1945, à la tombée de la nuit, le bombardier quadrimoteur Handley Page Halifax III L8 " O " OBOE* du 347 Squadron " Tunisie " décolle de la base d'Elvington pour attaquer l'Allemagne. L'équipage est ainsi composé:

- sous-lieutenant Terrien, Pilote commandant d'avion

- lieutenant Mosnier, Navigateur

- sous-lieutenant Michelon, Bombardier

- adjudant Puthier, Mécanicien

- sergent-chef Dugardin, Radio

- sergent-chef Delaroche, Mitrailleur supérieur

- sergent Dunand, Mitrailleur arrière

L'objectif de la mission est une usine de pétrole synthétique, implantée à Kamen, à 16 kilomètres à l'est de Dortmund. La formation est forte de 234 avions. L'effort total de la nuit est de 785 avions. La route est jalonnée par les éclairs rouges de la Flak. Après avoir largué ses 10.000 livres de bombes sur l'objectif, le " O " met le cap à l'ouest vers la Belgique, la France et enfin l'Angleterre.

Au fur et à mesure de sa progression vers Elvington, Jean Terrien voit les terrains s'éteindre les uns après les autres pour ne pas se faire repérer par les Junkers Ju 88 allemands. En vue de son terrain encore balisé, l'équipage du Halifax aperçoit à quelques minutes d'intervalle trois boules de feu dont une toute proche. Les avions ennemis sont partout. Le balisage de la piste s'est éteint soudainement. Terrien reçoit l'ordre de s'éloigner rapidement du terrain, cap NNW à 3000 pieds. Alors qu'il monte, l'avion est secoué par un choc violent dans un fracas terrifiant. L'appareil part en embardée à gauche tandis qu'une lumière aveuglante l'inonde. Il vient d'être tiré au canon de 13mm de la tourelle supérieure d'un Ju 88 G. C'est l'attaque par dessous, tant redoutée et pratiquement imparable. Le réservoir de l'aile droite atteint, les deux moteurs s'embrasent subitement. La voix calme de Jean Terrien donne l'ordre de sauter immédiatement. Touché à mort, le " O " répond toujours aux commandes, mais pour combien de temps? Encore une minute au maximum? C'est justement de ce laps de temps extrêmement court dont dispose l'équipage pour évacuer l'avion, encore faut-il qu'il soit fermement piloté et reste en ligne de vol le plus longtemps possible. Jean Terrien pourrait brancher le pilote automatique et sauter, mais il préfère rester aux commandes pour assurer le salut de ses camarades. Lorsque le sergent Dunand évacue le dernier, l'appareil est déjà engagé en piqué. Le feu gagne partout et Jean Terrien environné de flammes pilote toujours désespérément... Pour lui, tout est fini, mais il est sûr maintenant d'avoir sauvé son équipage. Brutalement, le " O " échappe à tout contrôle et au moment où six parachutes s'ouvrent au-dessus de la campagne anglaise, il entraîne son commandant vers une mort certaine. Une minute à peine s'est écoulée depuis l'attaque du chasseur ennemi...

Le " O " s'écrasa au sol près du village de Sutton-on-Derwent, non loin d'Elvington. On retrouva Jean Terrien à son poste de pilotage, les mains tenant encore les commandes: il n'avait pas bougé...

Le 10 mars 1945, au cimetière militaire d'Harrogate près de York, devant un peloton de la Royal Air Force qui rendait les honneurs funèbres et tandis qu'un " bugle " (clairon) sonnait un émouvant " Aux morts! ", les lieutenants Mosnier et Michelon, l'adjudant Puthier, le sergent-chef Dugardin, les sergents Delaroche et Dunand portèrent en terre recouverts du pavillon français, les restes mortuaires du sous-lieutenant Jean Terrien, leur chef, qui avait donné sa vie pour les sauver.

Son comportement exemplaire vaudra à Jean Terrien la Légion d'Honneur et la citation suivante à l'ordre de l'Armée:

" Officier Pilote Commandant d'Avion qui alliait aux plus grandes qualités professionnelles une haute valeur morale. A accompli pendant la campagne 1939-1940 neuf missions de reconnaissance. Comme pilote Commandant d'Avion a effectué 28 missions de guerre de jour et de nuit sur l'Allemagne. Dans la nuit du 3 au 4 mars 1945, au retour d'un raid sur une usine de carburant synthétique a eu son avion attaqué par un chasseur de nuit. Les deux moteurs droits et le plan étant en feu, a réussi à conserver le contrôle de son appareil en permettant ainsi l'évacuation dans les meilleures conditions. Resté à son poste y a trouvé une mort glorieuse, après avoir sauvé par le sacrifice de sa vie celle des six membres de son équipage. ".

 

Pour les anciens des Groupes Lourds, Jean Terrien reste l'image d'un pilote et d'un commandant exemplaire. Ils estiment que cet exemple est de ceux qu'aujourd'hui encore, on peut proposer aux jeunes générations d'officiers. C'est pourquoi leur Amicale a demandé à l'Etat-Major de l'armée de l'Air que le nom de " Sous-lieutenant Jean Terrien " soit donné à une promotion de l'Ecole Militaire de l'Air dont il était issu.

 

*L8: Indicatif du groupe Tunisie " O ": Indicatif de l'avion OBOE: Alphabet phonétique.

 

Avec l'aimable autorisation de publication pour l'ABSA 39-45 - Biographie copyright Yves Donjon